La critique des Lumières dans l’art du dix-huitième siècle
Thomas Crow
Thomas Crow, "La critique des Lumières dans l’art du dix-huitième siècle", dans Revue de l’Art, année 1986, volume 73, numéro 73, p. 9-16.
Extrait de l’article
Les liens entre la peinture du dix-huitième siècle et la pensée des Lumières sont au centre des grands écrits de l’époque ; ils mettent tour à tour l’accent sur les efforts officiels de réaffirmer la primauté de la peinture d’histoire, sur le programme critique et didactique d’un philosophe comme Diderot, ou sur l’empirisme artistique de peintres tels que Chardin, Greuze ou Joseph Vernet. Que l’on considère ou non cette peinture comme adaptée à leurs critères rationnels et moralisateurs, la vision des Lumières proposée par ces études est invariablement affirmative : il y a dans le terme même un ton héroïque, que peu d’historiens d’art en effet songeraient à contester.
Dans le domaine plus vaste de l’histoire et de la philosophie des vues plus sévères sur les Lumières sont de plus en plus fréquentes. L’idéal des Lumières (pour élargir ce terme au-delà du dix-huitième siècle) voit le double processus de sécularisation et de rationalisation qui forme notre idée reçue de la modernité comme relevant d’une nouvelle « mythologie ». Le sujet (humain) situé au centre de ce mythe moderne, l’esprit individuel transparent à lui-même en vertu de la raison, a été détrôné et inscrit parmi les constructions idéologiques contingentes. La grande émancipation de la société civile et de son économie matérielle face aux contraintes de la superstition, du dogme et du rituel est considérée, après révision, comme l’invention de formes nouvelles et plus efficaces de contrôle sur la vie des individus.