"Observons le monde". La réalité sociale dans la peinture française du XVIIIe siècle
Thomas Kirchner
Kirchner, Thomas, "„Observons le monde“. La réalité sociale dans la peinture française du XVIIIe siècle ", dans W. Gaehtgens, Thomas / Michel, Christian / Rabreau, Daniel / Schieder, Martin (éd.), L’art et les normes sociales au XVIIIe siècle (= Passages/Passagen, Bd. 2), Paris, 2001.
Début de l’article
Lorsque André Félibien rédigea en 1667 l’introduction aux Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, sa description des différents genres de peinture fut en même temps une classification des tâches artistiques dans un contexte social. La peinture allégorique, couronnement de la production artistique, y était attribuée aux souverains, la peinture d’histoire à la noblesse, et la peinture de genre — que Félibien omet de citer en cet endroit - à la bourgeoisie. Il ne faisait pas de doute pour Félibien que la peinture devait refléter dans chacun de ces genres la réalité sociale correspondante.La théorie de l’art s’empara de cette idée très générale quand elle s’interrogea sur la manière dont un artiste devait procéder dans son travail. Ainsi Antoine Coypel, qui se situait encore tout entier dans la tradition classique d’un Charles Le Brun, conseilla-t-il aux artistes de se rendre à la cour de Versailles afin d’y étudier les caractères dont ils animaient leurs œuvres, lesquelles étaient bien sûr des peintures d’histoire :
« Je sais que tous les caractères sont généralement répandus dans le commerce du monde, mais ils se réunissent et se rassemblent avec plus de force à la Cour ; on les y peut étudier avec plus de vivacité et même d’un seul coup d’œil ; les rayons du soleil dispersés sur l’hémisphère ont moins de force que lorsqu’ils sont rassemblés au foyer d’un miroir ardent. Vous pouvez donc, dans ce grand théâtre du monde, étudier le vrai des mœurs, des caractères et des passions, par exemple, l’humanité, la douceur, la bonté et la dignité du maître : la politesse et la simplicité de la plupart des grands, l’orgueil des inférieurs et la hauteur des petits en général [...] ; la souplesse et la bassesse des uns, l’audace hardie et téméraire des autres. Enfin vous pouvez étudier dans ce grand théâtre tout ce qui agite et trouble l’âme et le cœur de tous les hommes. »