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D’une cour l’autre. Caspar Scheit, traducteur méconnu de Marot (Heidelberg, 1551) 

Elsa Kammerer

KAMMERER Elsa, « D’une cour l’autre. Caspar Scheit, traducteur méconnu de Marot (Heidelberg, 1551) », Réforme, Humanisme, Renaissance, 2018/2 (N° 87), p. 127-145.

Extrait de l’article

L’Éloge récréatif du mois de mai (Ein kurtzweilige Lobrede von wegen des Meyen), que le pédagogue et musicien de Worms, Caspar Scheit , compose en 1551 à l’occasion d’un mariage princier à la cour de Frédéric II à Heidelberg, constitue l’une des premières éditions bilingues latin-allemand et français-allemand repérée à ce jour. Il présente par ailleurs l’un des rares témoignages que l’on connaisse d’un traducteur qui explique et expose sa propre pratique : en l’occurrence, on a pu montrer d’une part que la musique sert à Scheit de medium particulier entre le latin, le français et l’allemand, et d’autre part que Scheit applique dans le domaine littéraire les pratiques musicales de la fricassée et de l’improvisation . Il n’est donc pas étonnant qu’un poète si attentif à la matérialité sonore de la langue, et dont l’oreille joue un rôle si déterminant dans les choix poétiques de traduction, ait été sensible aux textes de Marot. Effectivement, Scheit cite dans son Éloge les premiers vers du Temple de Cupido, qu’il fait suivre d’une traduction en allemand et d’un commentaire : par ces vers, il fait connaître Marot pour la première fois dans la littérature allemande ; l’Éloge constitue ainsi l’un des témoignages les plus directs que l’on connaisse de la circulation de l’œuvre de Marot entre la France et l’Empire. Mais dans le même mouvement, Scheit cite et traduit également les vers français d’une chanson de mai et d’un Calendrier des bergers qui apparaissent eux aussi, de façon sans doute étonnante pour un lecteur français, comme les ambassadeurs possibles de la langue française à la cour du prince électeur. En révélant une différence de culture assez nette, dans les années 1550, entre ce qui s’écrit pour une cour princière allemande et ce qui s’écrit dans l’entourage de la cour de France, l’Éloge – c’est ce que nous aimerions montrer – fait ainsi apparaître ce qui est alors, du point de vue allemand, le plus visible dans le champ littéraire français : les chansons, les calendriers, les vers de Marot. Il révèle en même temps, par le biais de la traduction, la volonté d’introduire en Allemagne une nouvelle langue poétique portée par le décasyllabe, à une date bien plus précoce que ce que l’on avait cru jusqu’à présent. Le désir exprimé par Scheit de travailler à la traduction d’un autre texte français, qui pourrait bien être un texte marotique, confirme enfin son rôle important de passeur entre les domaines français et allemand.

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