Voyage des hommes, voyages des œuvres : le vitrail, un produit d’exportation
Françoise Gatouillat
Françoise Gatouillat, "Voyage des hommes, voyages des œuvres : le vitrail, un produit d’exportation", dans Revue de l’Art, 1998, n° 1, p. 35-48.
Extrait de l’article
Dans le domaine du vitrail comme dans les autres disciplines artistiques, la mobilité des artistes est un phénomène banal, fréquemment attesté par des textes, et ceci depuis le milieu du XIIe siècle, si l’on prend l’exemple du chantier de Saint-Denis. Pourtant les conditions particulières de l’exercice du métier comportent des contraintes qui ne favorisent guère le nomadisme des peintres-verriers : un atelier est en principe une structure matérielle relativement lourde, impliquant des locaux susceptibles d’abriter le four, les stocks de verre, de plomb et parfois de fer servant à confectionner les armatures, des tables de montage, des réserves de modèles ; enfin ces locaux doivent être assez vastes pour offrir des surfaces d’« affichage » pour les compositions monumentales en cours d’élaboration. Les œuvres produites, faites de verres sertis de plombs, sont des objets pesants et encombrants, dont le transport et le montage obéissent à des lois rigoureuses.
Néanmoins, les observations nouvelles faites sur les verrières du début du XIIIe siècle de la nef de la cathédrale de Chartres permettent d’entrevoir les possibilités qu’offre l’organisation matérielle d’un grand chantier lorsqu’elle est prise en charge par les commanditaires : les personnalités fort diverses réunies pour cette vaste entreprise, venues, entre autres, du milieu Laon-Soissons, ont utilisé collectivement équipements et matériaux mis à leur disposition par la fabrique.
Du XIVe au XVIe siècle, de multiples mentions d’archives se rapportent à des artistes itinérants, et peuvent parfois être mises en relation avec des œuvres conservées. Retenons, parmi d’autres exemples, celui du peintre-verrier Guillaume Le Tengard, originaire de Coutances en Normandie, repéré au milieu du XIVe siècle à Montpellier ; localisé en Avignon en 1367, il est dans l’intervalle installé à Barcelone, travaillant en 1357 pour la cathédrale de Gérone et vers 1359 pour celle de Tarragone, où des verrières peuvent lui être attribuées avec certitude. Ou encore celui d’un artiste polyvalent bourguignon, Antoine de Lonhy, dont la présence est attestée en 1446 à Chalons-sur-Saône, puis en 1460-1462 à Toulouse et à Barcelone, alors qu’il réside en Savoie ; d’autres documents permettent de le suivre en Piémont jusqu’après 1480. Au début du XVIe siècle, la reconstruction de l’église de pèlerinage de Saint-Nicolas-de-Port offre d’autres cas maintenant bien documentés : un peintre-verrier lyonnais, Nicolas Droguet, sans doute appelé vers 1507-1508 par le duc René II de Lorraine, quitte rapidement le chantier sans avoir achevé le vitrage du chœur ; en revanche, l’alsacien Valentin Bousch, qui s’installe à Saint-Nicolas de 1514 à 1520, se fixe ensuite à Metz jusqu’à sa mort survenue en 1545.