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Devises, lettres, chiffres et couleurs : un code emblématique 1350-1550

Laurent Hablot, Miguel Metelo de Seixas, Matteo Ferrari (éd.)

HABLOT Laurent, METELO DE SEIXAS Miguel, FERRARI Matteo (éd.), 2022, Devises, lettres, chiffres et couleurs : un code emblématique 1350-1550, IEM, Lisbonne.

ISBN : 978-989-53585-6-4

Parmi les signes à travers lesquels l’individu exprime son identité à la fin du Moyen Âge, les devises intriguent et interrogent. Le caractère souvent insolite de leurs figures que l’on peine parfois à identifier et, dans de nombreux cas, les mots ou les chiffres qui leur sont associés, tant en latin qu’en vernaculaire, posent de fréquents problèmes de lecture et d’interprétation.

Code emblématique créé entre Angleterre et France dans la première moitié du XIVe siècle, puis diffusé rapidement à l’échelle de l’Europe, la devise prolonge les expériences emblématiques du début du XIVe siècle, comme les cimiers et les supports. Si elle entretient des rapports étroits avec l’héraldique, elle génère progressivement un système spécifique qui s’en détache du point de vue formel et fonctionnel : les devises restent plutôt complémentaires que concurrentes des armoiries, dont elles comblent même un certain nombre de lacunes ou de carences. Ces signes d’identité, librement choisis tout d’abord par le prince et ses courtisans, puis par une large partie de la « haute société » européenne, sont en effet autant un emblème qui renvoie à sa personne qu’un symbole qui exprime ses idéaux. Ils lui permettent de marquer ses biens comme d’entrer en représentation. Les devises, attachées à un individu, sont aussi un signe de pouvoir que le prince peut partager avec ses fidèles sous diverses formes (vêtements et bijoux notamment), les plus structurés de ces groupes de courtisans étant organisés en ordres de chevalerie. Mais ces emblèmes sont surtout des signes politiques et militaires : soutenant un message précis, ils permettent la diffusion de subtils discours de « propagande » et marquent les partisans lors des conflits politiques et civils. Déployés sur les étendards, affichés sur les vêtements ou livrées, ils structurent le champ de bataille et font apparaître les premiers uniformes. D’une mode de cour aux fonctions pratiques, la devise devient à la fin du Moyen Âge, un jeu d’esthètes et d’intellectuels qui épuise le système et résiste assez mal, dans ses formes médiévales, à la pensée humaniste.

C’est à cet univers d’emblèmes qu’est consacré ce livre issu de deux rencontres scientifiques organisées en 2014-2015 dans des cadres particulièrement propices, en raison de l’exubérance de leur décor, à alimenter une discussion sur le thème de la devise à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance : l’une a eu lieu au Portugal, dans le monastère de Santa Maria da Vitória à Batalha, sous la direction de Laurent Hablot et de Miguel Metelo de Seixas (Empresas-Devises-Badges : un code emblématique européen/um código emblamático europeu 1350-1550), l’autre en France, dans le monastère royal de Brou (Bourg-en-Bresse) sous la direction de Pierre-Gilles Girault et de Laurent Hablot (Des chiffres et des lettres. Monogrammes, lettres emblématiques et chiffres énigmatiques dans l’emblématique). Les deux colloques, qui ont vu la participation de chercheurs provenant de différents horizons disciplinaires et géographiques, ont été l’occasion pour explorer en profondeur un domaine de recherche qui connaît depuis une vingtaine d’année, un important renouveau dont témoignent les études monographiques de plus en plus nombreuses sur un emblème donné ou sur l’emblématique d’un personnage ou d’une famille ; la prise en compte de la question dans les ouvrages relatifs à la période médiévale et à la Renaissance, à ses grands personnages et à ses productions artistiques variées ou encore des bases de données comme Devise. Emblématique et héraldique à la fin du Moyen Âge qui depuis 2013 collecte et analyse les devises utilisées à travers toute l’Europe du milieu du XIVe siècle jusqu’au milieu du XVIe.

Sans vouloir prétendre à une synthèse exhaustive sur une question aussi complexe, que les introductions de Laurent Hablot et de Werner Paravicini explorent dans ses multiples aspects, les articles réunis dans ce volume offrent un large aperçu des devises portées par les princes et l’aristocratie espagnole, française, italienne et portugaise entre la fin de l’époque médiévale et la Renaissance. Nous y retrouvons à la fois des analyses consacrées à certains emblèmes parmi les plus célèbres – tels la chantepleure de Valentine Visconti et de Marie de Clèves, la Salamandre de François Ier, l’aubépine de Valeran de Saluces, la « couronne double » de la maison d’Aragon – et des études centrées sur les systèmes d’emblèmes adoptés par certains personnages (Charles VIII et Anne de Bretagne, Marguerite d’Autriche), par des familles (les Visconti, la maison d’Avis, les Bourbons) ou par des milieux sociaux (la noblesse florentine au XVe siècle, les familles de l’Italie du nord) et institutionnels (les villes portugaises). Le cadre est complété par une réflexion sur la fortune que les devises ont rencontré dans le milieu intellectuel à l’époque moderne, comme en l’atteste le cas de l’ouvrage De l’art des devises publié par le Père Le Moyne en 1606.

Edité par Laurent Hablot (Paris, EPHE), Miguel Metelo de Seixas (Lisbonne, Universidade Nova FCSH) et Matteo Ferrari (Paris, EPHE), grâce au soutien de IEM – Instituto de Estudos Medievais, ce volume sera accessible et téléchargeable gratuitement sur le site Nova Research Portal (https://novaresearch.unl.pt/en/publications/) à partir du 12 octobre 2022.