L’Escorial est-il bien « espagnol » ?
Damian Bayon
Damian Bayon, "L’Escorial est-il bien « espagnol » ?", dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1962, n° 1, p. 23-45.
Extrait de l’article
Rapporter la rupture qui s’est produite dans l’histoire de l’Espagne au XVIIe siècle seulement à des circonstances contemporaines et européennes, ou à la situation créée après le Concile de Trente, paraît une explication et insuffisante et abstraite. Ce que nous appelons Renaissance, Contre-Réforme, Baroque, fut vécu par les Espagnols à l’intérieur de leur propre existence, établie sur des labeurs, coutumes et intérêts très particuliers ; l’oublier serait disloquer la vie pour l’adapter à la courte perspective de notre table de travail, et, ce qui est pire encore, au conventionnalisme de quelques livres, à la routine de l’histoire de ces trente dernières années, histoire pleine d’idées valables aussi bien que de caprices et de phobies. (Americo Castro, Espaňa en su historia, p. 179.)
Pendant le dernier demi-siècle, espagnols et étrangers, les historiens de la civilisation se sont largement penchés sur des problèmes qui touchent à la culture et à la littérature espagnoles. On ne peut dire que le terrain ne soit pas défriché. Par contre, et par une sorte de fatalisme, tout ce qui touche aux arts figuratifs a souffert d’un inexplicable retard et en particulier l’architecture, où tout reste encore à faire, non pas du point de vue de l’érudition, mais quant à la liaison nécessaire avec les positions assumées par les historiens.
Mon but sera essentiellement d’aborder ici un thème qui, parmi tous les autres, a eu une malchance particulière : celui de l’Escorial. M’appuyant sur les auteurs les plus connus — et parfois aussi les plus discutables, puisqu’il s’agit d’ouvrir une polémique, — je me suis servi des documents et des opinions des uns et des autres pour les interpréter librement et en tirer mes propres conclusions. Tout cela sans caprice ni parti pris, mais seulement pour essayer d’apporter à un problème qui paraît classé définitivement, une lumière que j’espère nouvelle.