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La violence à la cour de France (Moyen Âge-XIXe siècle)

Ce colloque interdisciplinaire et international a pour objectif l’étude des expressions de la violence à la cour de France, du Moyen Âge au XIXe siècle.

En croisant les disciplines telles que l’histoire politique, la sociologie, l’histoire des émotions, l’histoire de la justice, les lettres et l’histoire de l’art, ce colloque explore une pratique qui semble indissociable de la société curiale. En effet, Claude Gauvard avait souligné le rôle particulier de l’entourage des grands dans la pratique de la violence [1]. Alors que dans les milieux ruraux et urbains, les normes sociales tendent à limiter et à réguler la violence, les entourages aristocratiques et les cours sont le théâtre d’actes violents fréquents et désordonnés. Principalement perpétrés par des hommes et motivés par la préservation de l’honneur, ces actes parfois meurtriers demeurent souvent impunis, car « l’honneur prime sur la vie humaine ». Dans son étude, Michel Nassiet montre également que la violence est d’origine sociale et consiste souvent à défendre l’honneur qui est alors perçu comme un capital collectif [2]. Dans le cadre de la cour, cet honneur est rendu visible entre autres par le cérémonial et l’étiquette, ce qui peut exacerber la nécessité de le défendre. De plus, la cour est le lieu de structuration de liens interpersonnels qui passe par la formation de clans et de clientèles qui partagent le devoir de défendre l’honneur du groupe. Le statut social, l’existence de groupes et factions ainsi que l’organisation même de la cour encourageraient ainsi l’usage de la violence.
En l’absence d’une évolution linéaire, les périodes de guerres civiles introduisent une notion de temporalité en amplifiant la violence qui règne dans l’entourage royal. En analysant les mentalités et la société de la cour d’Henri III, Jacqueline Boucher avait relevé une « attirance de l’horrible et du macabre », précisant que les guerres de Religion familiarisèrent les Français de la fin du XVIe siècle avec le drame et la violence [3]. Cette dernière s’amplifie dans le quotidien de la cour et s’exprime même lors d’entrées et de festivités [4]. Une forme de brutalisation des sociétés décrites par George L. Mosse pour le XXe siècle serait ainsi déjà à l’œuvre au XVIe siècle ; des phénomènes similaires émergent pendant la guerre de Cent Ans et la Révolution [5].
Toutefois, si l’impact des guerres civiles sur l’expression de la violence à la cour semble évident, force est de constater que les entourages des grands sont traversés à toutes les époques par des actes de violence plus ou moins tolérés. Ce constat s’oppose au processus de civilisation décrit par Norbert Elias qui consisterait en une domestication progressive de la noblesse dans la sphère curiale [6]. Si les traités de civilités dressent le portrait de courtisans capables de contrôler et de dissimuler leurs émotions, la violence est bien une constante dans les sources relatives aux sociétés curiales. Régine Le Jan constate à la suite de Walter Pohl les faiblesses de la "tentation évolutionniste et eurocentriste" qui marque l’œuvre d’Elias : les sujets médiévaux ne dominaient pas moins leurs émotions que les Occidentaux du XXIe siècle, mais les exprimaient différemment, en suivant leurs propres codes [7]. Comprendre ces codes constitue un des objectifs du colloque.

Le colloque propose d’analyser les formes, les acteurs, les motivations, les effets et les discours relatifs à la violence dans le cadre spécifique de la société de cour, en questionnant la validité du concept de la cour en tant qu’espace de régulation des rapports sociaux, de tempérance et de contrôle progressif des émotions. Nous souhaitons étudier les actes de violence survenant à la cour, qu’ils soient dirigés contre des membres de l’entourage royal ou qu’ils soient perpétrés par ces derniers. Notre objectif est d’explorer les violences individuelles, commises ou commanditées par des individus. Cette approche nous amène à exclure du champ d’études les phénomènes de la violence organisée et collective, tels que la guerre, le tournoi et la chasse. Plusieurs axes pourront être explorés :

Axe 1 : Les manifestations de la violence

Les actes violents se présentent sous des formes diverses comme les bagarres et les rixes, les empoisonnements et les meurtres ainsi que les duels qui persistent malgré les mesures prises à leur encontre par la couronne. Spécifiques aux rapports entre hommes et femmes sont les violences sexuelles, les viols ainsi que les violences conjugales et meurtres d’épouse, des phénomènes qui ne sont pas absents de la cour.
Les acteurs des violences appartiennent à toutes les strates sociales de la cour. Le roi peut être la victime de ces violences, et il est parfois lui-même à l’origine d’actes violents lorsqu’il commande des assassinats, qu’il s’agisse de celui des Guise en 1588 ou de Concini en 1617.
Le colloque propose d’étudier des faits de violence en éclairant le lien entre les acteurs et leurs victimes ainsi que les mobiles et les choix opérés concernant la forme de la violence mise en œuvre. Des études de cas peuvent reposer sur les documents de l’administration royale (prévôté, lettres de rémission...), de la justice, des témoignages de courtisans et des œuvres littéraires ou picturales.

Axe 2 : La régulation de la violence

Si les manifestations de violence sont nombreuses à la cour, l’appareil monarchique tente pourtant de les contrôler grâce au développement d’institutions qui doivent garantir la sûreté de ses membres. Dans cette perspective, ce colloque encourage l’étude des acteurs et des institutions chargées de la sécurité à la cour.
Cette régulation prend une forme judiciaire avec le développement d’instances de règlement des conflits internes à la cour assurée notamment par le grand prévôt de France, mais également par la mise en place du tribunal du point d’honneur. De même, la multiplication des troupes chargées de la sécurité du roi et de la cour témoigne de ce souci de limiter les désordres dans les demeures royales. Les règlements royaux pourront également faire l’objet d’une étude approfondie afin de comprendre dans quelle mesure ils tentent, parfois en lien avec le cérémonial et l’étiquette, de réguler la violence à la cour. Il s’agira également d’appréhender le caractère sacré de la personne royale qui rend les manifestations de violence de moins en moins tolérables lorsqu’elles ont lieu dans le logis du roi ou en sa présence.

Axe 3 : Effets et représentations de la violence

La réaction suscitée par les actes de violence peut être explorée à la fois au niveau individuel et collectif, en étudiant les justifications avancées par les auteurs de ces actes et par les témoins qui les rapportent. Cette approche permettra d’interroger les sensibilités et la tolérance à l’égard des diverses formes de violence au sein de la cour, mais aussi de la société dans son ensemble. Les accusations et condamnations de la violence sont souvent instrumentalisées à des fins politiques, par exemple lorsqu’il s’agit de mettre en question le pouvoir exercé par les femmes. Les reines régentes ont ainsi été accusées d’utiliser et d’abuser de la violence afin de consolider leur position.
Qu’ils soient fondés sur des faits avérés ou sur des constructions imaginaires, les discours sur la violence mettent en lumière les clivages politiques et sociaux au sein de la société et participent à la critique de la cour. Ces discours et imaginaires de la violence influencent l’art et la littérature, qu’il s’agit des décors des demeures royales, des pamphlets, des gravures ou des œuvres littéraires.

Le colloque
Le colloque, organisé par le Centre Roland Mousnier et l’Institut de recherche sur les civilisations de l’occident moderne (Sorbonne Université) ainsi que l’association Cour de France.fr, aura lieu du 28 au 29 avril 2025 à Paris (Sorbonne, salle des Actes).
Les frais de voyage et de séjour des intervenants seront pris en charge. Les actes seront édités.

Modalités de soumission
Les propositions de communication, d’un maximum de 5000 caractères (espaces compris), si possible accompagnées d’une notice biographique ou d’un bref CV, sont à adresser d’ici le 30 septembre 2024 à : violence.colloque2025 chez gmail.com

Comité d’organisation
Fanny Giraudier, LARHRA
Nicolas Le Roux, Sorbonne Université, IRCOM/Centre Roland Mousnier
Caroline zum Kolk, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, Cour de France.fr

Conseil scientifique
Boris Bove, Université de Rouen, GRHis
Luisa Capodieci, Université Panthéon-Sorbonne
Pascale Mormiche, Cergy-Paris-Université
Vivien Richard, Musée du Louvre
Caroline Trotot, Université Gustave Eiffel

Notes
1 : Claude Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005 (Les Médiévistes français n° 5).
2 : Michel Nassiet, La violence, une histoire sociale. France XVIe-XVIIIe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2011.
3 : Jacqueline Boucher, Société et mentalités autour de Henri III, Paris, Honoré Champion, 2007.
4 : Margaret M. McGowan, Festival and Violence. Princely Entries in the Context of War, 1480-1635, Turnhout, Brepols, 2019.
5 : George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette Littératures, 1999 (traduit de l’anglais, première édition 1989).
6 : Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985 (traduit de l’allemand, première édition 1969).
7 : Régine Le Jan, Amis ou ennemis ? Émotions, relations, identités au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2024.

Illustration : Anonyme, Louis XIV devant la grotte de Téthys (extrait), 1684. Huile sur toile, 96 x 96 cm, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (extrait)