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Jean-François Moufflet : Le gouvernement de Saint Louis au quotidien. Le pouvoir au miroir des actes

Cette thèse cherche à restituer le cadre quotidien de Louis IX à l’aune des actes de sa chancellerie, des fragments de comptabilités et des ordonnances de l’Hôtel. Ces dernières, considérées comme une innovation pour la structuration du service domestique, sont plutôt une réponse de régulation des coûts face à la crise de croissance d’une Cour qui gagne en prestige. L’Hôtel, déjà organisé de longue date, ne se résume pas non plus à la domesticité, mais constitue un vivier de serviteurs qui captent la réalité du pouvoir quotidien au détriment des entourages traditionnels.

Thèse soutenue le 16 février 2024, dirigée par Olivier Matteoni et Élisabeth Lalou, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Résumé

Parmi les rois du Moyen Âge, Saint Louis occupe une place éminente. Sa canonisation a en effet donné lieu à la production d’hagiographies qui en font une figure exceptionnellement vivante pour un roi du XIIIe siècle. En outre, ces écrits nous le replacent à maintes reprises dans son cadre de vie, depuis ses palais jusqu’aux chemins du royaume. Mais à l’instar d’autres travaux qui depuis plus de quinze ans font la part belle à l’étude des sources de la pratique du XIIIe siècle, cette thèse s’est attachée à approcher le roi de France dans son environnement quotidien en exploitant les actes de la chancellerie et les comptabilités, ainsi que les ordonnances de Louis IX relatives à son hôtel, les premières du genre pour la monarchie capétienne.
Ce cadre quotidien a été envisagé à travers le prisme de la cour, structure à la fois matérielle — un réseau de palais — et sociale qui réunit le roi, sa famille, ses serviteurs et les organes de gouvernement obéissant encore à l’itinérance quotidienne qui marque le mode de vie du monarque.
Une première partie s’est attachée à étudier l’empreinte physique du roi de France au sein de son royaume. Dans un premier temps, on a souhaité définir ce qu’était la cour de France au XIIIe siècle. Le règne de Saint Louis bénéficie d’une place particulière en raison des ordonnances sur son hôtel qui ont parfois incité l’historiographie à faire de lui sinon celui qui réforme, du moins celui qui réglemente la structure de la cour. On a souhaité corriger cette image. D’une part, la cour de Saint Louis est le fruit d’un long héritage qui n’a pas fondamentalement varié dans sa philosophie et son organisation depuis les époques précédentes. D’autre part, l’analyse détaillée des deux ordonnances de Louis IX (années 1240 et août 1261) démontre que celles-ci n’ont pas tant été produites pour instituer un cadre que pour définir les gages des serviteurs de l’hôtel. Les ordonnances ne sont donc pas un acte de création, mais plutôt de régulation de l’hôtel royal, en réponse sans doute à la prolifération de petits serviteurs (valets, garçons…) entraînés dans le sillage des officiers de plus haut rang. Ceci témoigne d’une inflation de la cour de France sous le règne qui a gagné en prestige comme le symbolisent les reliques de la Passion placées dans le magnifique écrin de la Sainte-Chapelle du palais parisien.
Le réseau palatial capétien permet dans un second temps d’examiner le quadrillage de la cour dans l’espace du royaume. On s’est attaché à définir une typologie des résidences,
depuis les gîtes de passage jusqu’aux grands palais urbains. Les sources narratives aident à se représenter la catégorisation des espaces du palais. Mais les actes de chancellerie, évalués actuellement à au moins 2442, précisent aident, par les mentions de dates, à repérer les résidences les plus fréquentées par la cour. Par rapport aux règnes précédents, deux résidences se détachent pour rejoindre Paris : Vincennes et Saint-Germain-en-Laye. Elles deviennent le centre névralgique d’un réseau de demeures qui tend aussi à se développer à l’ouest du domaine royal (Vexin) au détriment de la partie méridionale (Orléanais et Berry).
Cette tendance est confirmée par les itinéraires de la cour reconstitués à partir des indications fournies par les actes royaux, mais aussi les comptabilités, les listes de gîtes, les listes d’hommages et les mentions glanées dans les sources narratives et travaux érudits. L’analyse révèle qu’en dehors des trajets exceptionnels (guerres, départs en croisade, rencontres diplomatiques), et en dépit de l’agrandissement significatif du domaine royal, Louis IX reste un roi d’Île-de-France. Il sillonne de façon pendulaire le domaine de ses ancêtres, en repassant toujours par Paris. Le principal changement par rapport aux précédentes décennies est une présence accrue de la cour dans la vallée de la Seine, jusqu’à Rouen. La Normandie, récemment rattachée au domaine, est clairement investie dans ses marges orientales. L’itinéraire met aussi en valeur des vides (Gascogne, Toulousain), parfois surprenants : alors que la sénéchaussée de Carcassonne est sous l’administration directe du roi, celui-ci ne s’y rend jamais, même lorsqu’il est à proximité, à Aigues-Mortes, lorsqu’il part en croisade à deux reprises. L’itinéraire sanctionne donc la fin du gouvernement qui reposerait sur la seule présence physique du roi. Dans les régions les moins fréquentées, le pouvoir s’appuie désormais sur d’autres relais.
La deuxième partie de la thèse a précisément voulu s’attacher aux actes de gouvernement que constituent les chartes de chancellerie, et montrer que la parole royale, telle qu’elle y est exprimée, contribue à maintenir une autorité dans les régions les plus éloignées du centre du pouvoir. Le roi ne se rend pas dans certaines contrées ; lui et ses hommes les connaissent malgré tout par des listes d’hommes, de villes, d’établissements religieux, de terres qui subissent concrètement les conséquences de leurs décisions.
Un chapitre a été consacré à la chancellerie. On a essayé d’évaluer l’origine et l’importance de son personnel, en partie rattaché à l’hôtel, et de voir comment la décision du roi était mise par écrit. Une typologie des actes a été établie, des plus solennels aux plus courants. On a remis en perspective cette production, en démontrant qu’elle constituait un miroir déformant. Les actes solennels ont été de loin les mieux préservés au fil des siècles alors que les actes plus courants auraient permis de mieux évaluer les liens entre le roi et ses relais locaux.
Il est clair qu’il n’y a pas encore de chancellerie sédentaire à Paris : Louis IX reste proche des règnes précédents, que ce soit dans l’ampleur du personnel comme dans le nombre d’actes émis. Ce n’est pas encore la monarchie bureaucratique de son petit-fils Philippe le Bel, bien que des signes de réorganisation apparaissent en fin de règne.
Dans un dernier chapitre, l’étude des registres de chancellerie, dans lesquels les clercs du roi copient pour mémoire le contenu de certaines chartes, est passionnante, car elle livre la vision du royaume que se fait l’équipe de gouvernement. Il est encore essentiellement envisagé comme une liste de groupes sociaux plus que de provinces. Toutefois, les dernières années du règne démontrent que l’approche géographique — et historique — perturbe cette vision, avec le regroupement de certaines archives par régions (Flandres, Toulousain, Albigeois). Enfin, la façon dont la monarchie préserve la mémoire du gouvernement entre en crise : à partir des années 1260, les méthodes d’enregistrement des actes à la chancellerie deviennent trop complexes en raison de l’augmentation du nombre de décisions émises.
Tout comme la cour s’accroît significativement en nombre, le gouvernement subit une tension avec l’accroissement des actes et l’arrivée de spécialistes du droit et des comptes dans le gouvernement au détriment d’une ancienne aristocratie. Face à cette crise de croissance, le pouvoir doit faire évoluer son organisation.


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