La circulation des rentes constituées dans la France du XVIIe siècle
Katia Béguin
Béguin, Katia, "La circulation des rentes constituées dans la France du XVIIe siècle ", Annales. Histoire, Sciences Sociales, 6, 2005 (60e année), p. 1229-1244.
Extrait de l’article
L’analyse des marchés du crédit a offert un domaine de recherche fécond à une histoire économique de l’Ancien Régime qui souligne l’importance du commerce actif de l’argent dans la France moderne, nonobstant l’absence d’institutions financières de type bancaire. Relevé depuis plusieurs années par les historiens des finances, le rôle de l’intermédiation notariale, pour apparier, selon la belle expression de Montaigne, « des conditions qui s’entrecherchent », celles d’emprunteur et de prêteur, occupe désormais une place privilégiée dans des recherches qui mettent en valeur la fonction de l’information et la manière dont celle-ci influe sur les marchés des capitaux. Le taux d’intérêt, dont les variations sont faibles, n’apparaît pas comme un élément déterminant dans les transactions du crédit, qui se décident avant tout en fonction d’un savoir relatif à la sécurité du prêt. Ainsi, à la différence du modèle néo-classique du marché, où les prix (et donc l’intérêt dans le cas du prêt) constituent les signaux principaux ou uniques consignés par une communauté d’acteurs anonymes, c’est surtout le degré de fiabilité du placement qui s’avère primordial dans les « marchés sans prix » du crédit de l’époque moderne. Cette sûreté se définit par des éléments composites, qui incluent non seulement le statut institutionnel et juridique du prêt, mais aussi les garanties offertes par l’emprunteur, sa solvabilité, sa réputation. Et c’est par là que l’aptitude des notaires à fournir une telle information prend toute sa dimension, notamment au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que les actes de crédit s’émancipent toujours davantage des sphères de l’interconnaissance, de la parenté ou du clientélisme. La circonspection et la quête de renseignements des détenteurs de liquidités montrent que l’expertise notariale et les autres façons d’appréhender la sûreté des placements ne s’appliquent pas aux seuls particuliers, mais aussi aux titres de rentes émis par l’État grâce à la médiation des corps constitués, hôtels de villes, États provinciaux, clergé, compagnies d’officiers, etc. De telles analyses ont contribué à transformer en profondeur le statut et la vocation de la rente constituée dans l’économie d’Ancien Régime : auparavant considérée comme un investissement sans risque, immobilisé dans les patrimoines des pères de famille – et du reste difficile à négocier –, elle se trouve désormais immergée dans « le monde de l’échange et de l’incertitude ».
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