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J. E. Hortal Muñoz et F. Labrador Arroyo (dir.) : La Casa de Borgoña. La Casa del rey de España

Sylvène Édouard

Comment citer cette publication :
Sylvène Édouard, "José Eloy Hortal Muñoz et Félix Labrador Arroyo (dir.), La Casa de Borgoña. La Casa del rey de España", Paris, Cour de France.fr, 2014 (https://cour-de-france.fr/article3521.html). Compte rendu publié le 1er décembre 2014.

José Eloy Hortal Muñoz et Félix Labrador Arroyo (dir.), La Casa de Borgoña. La Casa del rey de España, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 2014, 573p.

Dirigé par José Eloy Hortal Muñoz et Félix Labrador Arroyo, suite au colloque Evolución y estructura de la Casa de Borgoña de los Austrias hispanos (Université Rey Juan Carlos, novembre 2011), ce volume d’actes propose de réexaminer le rôle de la Maison de Bourgogne dans le fonctionnement politique de la Monarchie hispanique. L’organisation composite de cette dernière engendra l’existence originale de plusieurs Maisons royales pour la Castille, l’Aragon, Naples, la Navarre, la Bourgogne et plus tard, pour le Portugal. L’intégration des élites dans ces Maisons favorisa, en retour, celle des différentes entités politiques dans une seule Monarchie Hispana, qu’elle fût universelle ou catholique. Mais durant près de deux siècles et demi, cette Maison de Bourgogne eut la prééminence tandis que ses ordonnances et son étiquette furent modifiées au gré de l’évolution politique et des nécessités économiques de la Monarchie.
Partant de la notion de clientèle à l’œuvre dans les stratégies de cour pour en faire un espace de pouvoir et d’intégration des élites, l’ambition de l’ouvrage est de revenir sur un objet que les auteurs considèrent comme ayant été trop délaissé par l’historiographie traditionnelle. L’abondant travail de direction dans ce domaine, opéré par José Martínez Millán, témoigne cependant d’un intérêt déjà ancien qui a donné lieu à de nombreuses publications souvent citées dans ce volume, comme La Corte de Felipe II (Madrid, Alianza Universidad, 1994), les deux volumes de La Monarquía de Felipe II : la Casa del rey (en collaboration avec Santiago Fernández Conti, 2005), et les trois volumes de La Monarquía de Felipe III : la Casa del rey (co-dirigés cette fois avec Maria Antonietta Visceglia, 2008). Le premier avait ouvert la voie à cette lecture politique de la cour et de l’organisation des Maisons royales pour comprendre les enjeux de l’étiquette jusque dans la prise de décision politique, voire dans l’art même de gouverner de Philippe II.
Ce nouvel opus bénéficie donc des contributions de spécialistes reconnus, dont un certain nombre de l’Université autonome de Madrid, mais aussi de chercheurs étrangers. Il dispose également d’un matériau riche, déjà exploité en grande partie, provenant de l’Archivo General de Palacio à Madrid, mais aussi des Archives Historiques de Madrid, des Archives générales de Simancas ainsi que des archives de la Couronne d’Aragon (Barcelone), de celles de Bruxelles, de Paris, de Lille, du Vatican, de Lisbonne et de Vienne.
L’ensemble est divisé en trois sections qui en structurent clairement le propos avec, dans un premier temps, plusieurs contributions sur l’évolution de la Maison en termes d’ordonnances, d’étiquette et de finances. Puis, dans un second temps, un tableau de cette Maison en présente les différentes sections (la Chapelle, la Chambre, la Maison avec ses offices de bouche, l’Écurie et les Gardes). Enfin, la troisième section ouvre le sujet de façon très intéressante et plus originale sur « l’expansion de la Maison de Bourgogne » en interrogeant les possibilités du modèle. Au total, les dix-huit contributions couvrent une très large période pour un sujet non moins ambitieux. En filigrane, se pose tout au long de l’ouvrage la question de la réception : celle du modèle dit « flamand » dans la péninsule ibérique et son « hispanisation » au gré des adaptations aux cultures locales. Après avoir posé théoriquement la question, surtout en termes d’influence artistique, dans la première contribution apportée par David Nogales Rincón, il revient à Jean-Marie Cauchies de poser les cadres du cérémonial bourguignon fixés par les ordonnances de cour au temps de Philippe le Beau – celles de 1495, 1497, 1500, 1501 et 1506 - et introduits à la cour de Castille sous les premiers Habsbourg. Entre les ordonnances de 1515 et 1517, soit entre l’Entrée de Bruges et celle de Valladolid, la cour bourguignonne du jeune Charles, devenu Charles Ier d’Espagne, fut réorganisée, « mise en ordre », avec davantage de contrôle financier, de discipline et de mise à distance du prince comme le montre Raymond P. Fagel qui insiste également sur la part minime des Castillans dans cette Maison qui comptait environ six cents personnes en 1517. Le paiement des gages et de toutes les dépenses de la Maison ne cessa d’augmenter jusqu’à la fin du XVIIe siècle, passant de l’indice 100 à 395 entre 1561 et 1700, mais de 100 à 135 en valeur constante. Les dépenses, comme le souligne Carlos Javier Carlos Morales dans une synthèse prudente et éclairante de l’institution financière, étaient ordonnées par les principaux officiers de la Maison sous la responsabilité du maestro de la cámara et le contrôle de la junta del bureo et donc du controlador. Bien qu’il soit très difficile de déterminer exactement le coût de la Maison de Bourgogne qui était assimilée à la Maison du roi, celle-ci fut toujours déficitaire. La part importante des gages renvoie aux centaines de personnes servant le roi en vertu d’un ensemble de règles fixant leur rang et les manières de servir. Le cérémonial releva longtemps de la coutume avant d’être clairement établie en 1575 pour la Maison de Castille et en particulier pour la Maison d’Anne d’Autriche, quatrième épouse de Philippe II, comme le rappelle Félix Labrador Arroyo. En 1579, le roi demanda une information sur la Maison de Bourgogne dans le but de réaffirmer sur son modèle le cérémonial destiné à augmenter son autorité. Ce fut Philippe IV, cependant, qui réforma le plus le fonctionnement de la Maison en réunissant une Junta de Etiquetas en 1647. D’influence bourguignonne, mais tout en conservant certains offices typiques de Castille, les Etiquetas réglèrent le fonctionnement de la Maison du roi d’une façon plus systématique et plus hiérarchisée en donnant la prééminence au mayordomo mayor. Sous le règne de Charles II, puis avec le changement dynastique, les réformes – réduction des coûts, contrôle et réglementation de la Chambre du roi, contrôle accru du système des grâces - se poursuivirent selon des modalités longuement détaillées par Marcelo Luzzi Traficante. Le lent déclin de la Maison de Castille arriva à son terme en 1761 avec la création de la Casa Real achevant la réunion des Maisons au profit de celle de Bourgogne et de son principe d’intégration des fidélités.
La deuxième partie de ce volume d’actes, qui est aussi la plus importante, est consacrée aux différentes sections de la Maison du roi, à savoir la Chapelle, la Chambre, les offices de bouches, l’Écurie et les Gardes. Les contributions consacrées aux chapelles rappellent chacune leur dette immense envers le travail de Luis Robledo Estaire, qu’il s’agisse de la Chapelle royale de Castille à la fin du Moyen Âge - au sujet de laquelle David Nogales Rincón rappelle les caractéristiques institutionnelles et musicales mêlant la tradition castillane et l’influence du modèle contrapuntique du Nord - puis de l’évolution des Chapelles de Castille, d’Aragon et de Bourgogne. Afin de répondre aux nécessités liturgiques de la cour, tout en devenant des moyens de la magnificence du prince, ces chapelles ont évolué en fonction des contextes politiques. Avec l’introduction de la Grande Chapelle de la Maison de Bourgogne sous Philippe le Beau, un effort d’intégration fut initié, favorisant, dans un premier temps, les échanges musicaux entre les différentes cours mais aux dépens, à terme, de la Chapelle aragonaise qui fut dispersée après la mort de Ferdinand d’Aragon en 1516 comme le souligne Tess Knighton, de même que nombre d’officiants castillans, des chanteurs essentiellement, pâtirent de la réorganisation des Etiquetas au début du règne de Charles Quint. La Capilla Real, sous Philippe II, fut encore très dépendante de la Maison de Bourgogne, incluant le maître de chapelle, des chapelains, des chanteurs et autres officiants d’origine flamande tandis que la Maison de Castille fournissait plutôt les prédicateurs et d’autres chapelains. Au XVIIe siècle, la Chapelle fut avant tout pensée comme un support de l’image du roi, un médium de sa grandeur par la musique sacrée. Or la musique relevait de la compétence de la Maison de Bourgogne tandis que la dimension spirituelle et idéologique dépendait de la Maison de Castille, du moins jusqu’au début du XVIIe siècle lorsque le recrutement devint plus ibérique. Par souci d’économie, la première l’emporta sur la seconde sous Philippe IV et, en 1637, une liste désormais unique de gages fut établie. Plusieurs réformes – celle de don Juan José d’Autriche en 1577 et d’autres en 1695 puis en 1698 surtout – aboutirent à une réduction importante des membres de la Chapelle.
Dans le cas de la Cámara de la Maison royale - bien renseigné par les documents administratifs conservés à l’Archivo General de Palacio -, José Martínez Millán insiste tout d’abord sur le rôle intégrateur de cette institution qui a évolué au gré des réformes. Essentielle dans la répartition des faveurs, elle fut aussi le lieu d’exercice d’une noblesse favorisée et intégrée dans le système de cour pour servir le roi dans sa chambre, à table et pour sa garde. La Cámara gagna en importance sous l’influence du cérémonial bourguignon qui contribua à l’isolement de la personne du roi à partir d’un noyau de serviteurs dévoués à son service personnel, ayant à sa tête, depuis Charles Quint, le sumiller de corps, lui-même dépendant du mayordomo mayor. L’organisation de cette Cámara reflétait cependant l’importance de la Castille dans le système impérial des Habsbourg en favorisant la promotion d’une élite castillane, constitutive du parti dit « castillan », au service de la grandeur catholique de l’Espagne. Puis les réglementations successives, déterminées par les difficultés financières de la Monarchie, témoignèrent ensuite de son déclin. L’écurie royale joua également un rôle important dans l’intégration des élites et la mise en scène de la majesté royale selon Alejandro López Álvarez. L’institution, héritée avant tout du modèle bourguignon qui lui avait accordé un sens militaire très fort, fut essentielle à la fois pour intégrer la noblesse titrée, en plaçant les fils parmi les pages, mais aussi pour signifier le rang des uns et des autres à la cour lors des déplacements du roi qui se firent de plus en plus, dès Philippe II, en voiture : un moyen utile de renforcer son isolement et de signifier le rang des courtisans. Les Hérauts d’armes et les chevaliers de la Toison d’or contribuèrent aussi à l’efficacité de ce discours, selon Antonio Guillén Berrendero, en tant que garants du prestige de la Maison de Bourgogne lors des cérémonies. Les Gardes du roi d’Espagne contribuèrent à leur tour à l’image de la Monarchie lors des cérémonies tout en assurant la défense du roi. José Eloy Hortal Muñoz revient sur l’organisation de ces offices militaires répartis entre la prestigieuse guarda de archeros de Corps d’inspiration bourguignonne – composée de nobles flamands et de fils illégitimes de la noblesse uniquement chargés de la protection et la plus proche du roi pendant ses apparitions publiques -, la garde espagnole et la garde allemande maintenue après la mort de Charles Quint. En revanche, les offices de bouche qui étaient liés à la Maison de Bourgogne n’eurent pas la même fonction intégratrice et politique en termes de représentation puisque l’enjeu principal était d’assurer une cuisine et un service d’excellence ne dépendant que de la compétence du cuisinier en chef, d’après María de los Ángeles Pérez Samper.
Enfin, la troisième et dernière partie, « la expansión de la Casa de Borgoña » s’intéresse aux maisons des reines, des infants et des infantes. Celle des reines fut longtemps organisée par des services castillans – chapelle, Maison, Chambre et Écuries -, comme le soulignent les deux directeurs de ce volume, mais quelques offices bourguignons furent introduits au temps d’Élisabeth de Valois, entre autres avec le maestresala Lope de Guzmán, responsable de l’étiquette et du comportement de la nouvelle reine dès son arrivée dans le royaume de Navarre. Dès lors, la Chambre resta sur le modèle castillan tandis que la chapelle et la table de la reine furent marquées par l’influence bourguignonne. Quoi qu’il en soit, d’après Blythe Alice Raviola, le modèle espagnol de la Maison de la reine s’exporta avec les filles d’Élisabeth, comme en témoigne la cour de Turin au temps de la duchesse de Savoie Catalina Micaela. Ce fut un modèle influent à l’étranger et en particulier en Italie, mais un modèle surtout imposé aux reines d’origine étrangère, comme ce fut d’abord le cas avec l’impératrice Isabelle puis encore avec la reine Élisabeth, en 1615, dont la Maison fut clairement d’inspiration bourguignonne d’après Henar Pizarro Llorente. Le cas autrichien est assez similaire comme le montre Laura Oliván Santaliestra, non seulement en raison de liens dynastiques très forts mais aussi et surtout comme moyen d’asseoir l’hégémonie politique de la Maison d’Autriche de Madrid. La Maison de Bourgogne apparaît ainsi comme une « arme politique », intégrant les élites dans le système des couronnes d’Espagne, mais manifestant aussi la grandeur du roi d’Espagne selon un modèle capable de s’exporter pour en maintenir la prépondérance. Une des dernières contributions vient cependant conclure ce beau volume sur les limites d’un tel modèle. Dans d’autres aires politiques d’importance, comme en France, il serait difficile, selon Fanny Cosandey et Éloïse Rocher, de démontrer cette influence à travers les maisons successives des reines de France qui furent systématiquement vidées de leurs éléments étrangers au XVIIe siècle.

Sylvène Édouard, MC HDR Université Jean Moulin – Lyon 3