Clientélisme et construction monarchique. La clientèle du duc de Nevers dans la seconde moitié du XVIe siècle
Ariane Boltanski
Ariane Boltanski, "Clientélisme et construction monarchique. La clientèle du duc de Nevers dans la seconde moitié du XVIe siècle", dans Hypothèses, année 1998, numéro 1, p. 145-152.
Extrait de l’article
Dans la société politique française du XVIe siècle, les relations de clientèle occupent une place déterminante dans la structuration des réseaux de pouvoir. Elles jouent, en particulier, un rôle essentiel dans les liens inter-nobiliaires et les rapports qu’entretient la noblesse avec l’État royal. La question des « clientèles », posée dans ce contexte historique, soulève deux problèmes principaux : il s’agit, d’une part, de comprendre ce qu’est une clientèle et de déterminer la nature des relations qui unissent un patron et ses clients ; d’autre part, de voir quelle place tiennent les clientèles dans un processus politique plus large, que l’historiographie contemporaine désigne comme la construction d’un État moderne. Cet article se propose d’envisager ces deux problèmes à travers l’étude d’un exemple, la clientèle du duc de Nevers dans la seconde moitié du XVIe siècle et d’évaluer les réponses données sur ces deux points par l’historiographie récente.
Les tentatives de définition des relations de clientèle ont centré le débat historiographique, par la distinction opérée entre deux notions, « fidélité » et « clientélisme », sur le problème de l’opposition entre recherche d’un intérêt matériel et loyauté affective dans les comportements de patron et clients. La question qui semble dès lors s’imposer est celle de la pertinence descriptive de cette polarité entre intérêt et amour.
Les descriptions récentes menées en terme de « clientélisme », contrairement à des théories classiques qui lient la construction de l’État royal à la décadence de la haute noblesse féodale, insistent sur la puissance politique que les Grands retiraient de la domination de clientèles face à la monarchie. Ce point de départ a conduit certains historiens anglo-saxons à adopter une approche du clientélisme qui tend à le faire paraître comme une forme de pouvoir parasitaire, susceptible de mettre en péril l’établissement d’un État moderne centralisé. Pour conserver le contrôle de leur clientèle, les Grands devaient, en effet, capter des ressources publiques dont le roi demeurait l’éminent dispensateur, ce qui les amenait à se révolter contre l’État royal, lorsque le monarque réduisait l’accès à ces ressources.
Il semble nécessaire de réévaluer cette vision trop radicalement conflictuelle des relations entre le roi et sa noblesse. L’exemple de la clientèle du duc de Nevers permet d’articuler différemment formation de l’État et clientélisme. Le système étudié ici s’organise au sein d’un triangle politique qui fait intervenir trois termes, le duc de Nevers, ses clients et le souverain, et met en jeu, entre ces parties, un mode de négociation complexe de relations de pouvoir. L’examen de cet exemple ne saurait certes être généralisé quant à l’étude des liens entre le roi et la noblesse. Il semble du moins indiquer que, dans certains cas, les clientèles, loin d’être un instrument d’opposition à une modernité politique, peuvent apparaître comme un support à l’exercice de l’autorité royale et prendre place dans ce que l’on pourrait considérer comme une voie alternative de la construction de l’État. Nous allons tour à tour observer les trois côtés de ce triangle et considérer successivement la place du duc dans l’État royal, les liens qui unissent ce patron à ses clients et, enfin, le réseau complexe des relations entre les trois termes de ce jeu politique.