Les clientèles
Katia Béguin
Katia Béguin, "Les clientèles. Conclusion", dans Hypothèses, année 1998, numéro 1, p. 175-178.
Extrait de l’article
À l’opposé d’une tendance qui consisterait à faire du clientélisme une clef de lecture universelle, plusieurs des recherches présentées ici l’abordent comme l’un des principes organisateurs, replacé dans l’environnement social plus large qui concourt à le déterminer, à le définir, et à l’expliquer.
C’est notamment le rôle de la parenté, comme sphère immédiate ou potentielle des solidarités, qui intègre l’analyse clientélaire. Elle est un élément commun aux exposés de Clément Thibaud, où les alliances matrimoniales structurent les factions municipales de la société coloniale, puis associent une partie des hommes nouveaux et des élites patriotes du Venezuela, et de Christophe Piel, qui y voit une trame importante du réseau clientélaire d’une grande famille féodale. Et c’est à l’échelle du groupe de clients des Nevers et dans sa dimension durable, reproductrice, presque héréditaire, que cette tradition familiale du service est mise en valeur dans le travail d’Ariane Boltanski.
Il y a là la traduction de l’un des principaux renouvellements ou enrichissements de l’étude des clientèles. Parce qu’elle s’attachait aux relations verticales établies entre un supérieur et un subordonné, elle a d’abord été séparée, en théorie comme en pratique, de tout ce qui relevait des liens horizontaux tels que la parenté ou l’amitié. Or, ceux-ci ne sont pas nécessairement égalitaires ni figés : selon les circonstances, ils peuvent se muer en relations de protection, de clientèles, par exemple lorsque l’un des parents occupe une position politique ou économique éminemment supérieure à celle de ses alliés ou de ses amis. Les mariages hypogamiques des filles sont aussi l’une des modalités de ces attachements doubles et la démonstration de Christophe Piel est particulièrement éclairante sur ce point. Ce sont ainsi deux domaines de recherche, sur les familles ou les maisons et les clientèles, qui font l’objet d’un rapprochement fécond.