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Discours de l’ennui et visions interstitielles au Grand Siècle. La Palatine à la cour
Sylvaine Guyot
GUYOT Sylvaine, « Discours de l’ennui et visions interstitielles au Grand Siècle. La Palatine à la cour », Dix-septième siècle, 2016/2 (n° 271), p. 269-284.
Extrait de l’article
« Moi qui vois les choses de plus près, je sais bien ce qu’il en est » : les innombrables lettres de cette épistolière graphomane que fut Elisabeth-Charlotte de Bavière livrent bien, comme elle s’en targue, une vision éminemment informée de la vie quotidienne de la cour, au cœur de laquelle elle vécut pendant un demi-siècle, depuis son mariage en 1671 avec Monsieur, frère du roi, jusqu’à sa mort en 1722. Son témoignage est d’autant plus remarquable que le regard de près de Madame se conjugue au regard de biais de l’Allemande exilée : sorte d’Usbek à Versailles, la Palatine prend à l’égard de la société de cour française une distance critique dont la virulence fut par endroits jugée calomnieuse au point d’être censurée au XIXe siècle. Son « altérité incluse » fait ainsi de cette princesse interculturelle un cas singulier, permettant d’observer et d’analyser les relations qu’un sujet individuel pouvait entretenir avec la structure curiale sous Louis XIV, d’autant que sa correspondance s’avère étonnamment asystématique, porteuse de discours fluctuants, voire contradictoires, sur la position qu’elle occupait à la cour.
Sa place est emblématisée par une saynète au cours de laquelle Monsieur lui interdit d’approcher de la table de jeu tout en exigeant qu’elle reste à converser dans un coin de la pièce : c’est celle d’une femme que l’ordre patriarcal maintient à la fois en lisières et à la lisière, forcée de « tenir [son] poste », comme le lui rappelle Louis XIV, au sein d’une société qui tend cependant à l’ostraciser. Aussi sa correspondance témoigne-t-elle de la souffrance intime engendrée par les contraintes de l’autocontrôle, la tyrannie de l’arbitraire royal et les logiques de relégation et de discrimination qui régissent la vie de cour.
