L’histoire au service des pouvoirs. L’assassinat du duc d’Orléans
Jean-Michel Dequeker-Fergon
Jean-Michel Dequeker-Fergon, "L’histoire au service des pouvoirs. L’assassinat du duc d’Orléans", dans Médiévales, 1986, n° 10, p. 51-68.
Extrait de l’article
« En l’an mil IIII c et VII, je vous plevis,
Avint grande merveille tout de vray a Paris ;
Ains puis que jhesus fut de mort resurrexis
N’avint il la pareille merveille que je dis
Ce fut bien grant fortune qui se vault retourner
A l’encontre d’un prince c’on devoit moult doubter.
Ce fut des plus puissans que soit deçà la mer ;
Mais en bien peu de temps le fist Dieu deffiner ».
Scandale, événement sans répondant : tel est, dans cette chronique rimée écrite en 1409, l’écho de l’assassinat du duc d’Orléans. La victime ici n’est pas nommée. C’est que, de tout un chacun, elle est connue, tant pour sa position sociale — le duc d’Orléans est le frère de Charles VI — que pour son rôle politique : en un temps où le roi est fou, son ambition à contrôler le pouvoir, à se l’accaparer, l’a conduit à lutter avec acharnement contre son cousin, Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Jusqu’à ce soir du 23 novembre 1407, où ce dernier le fait assassiner.
Deux ans plus tard, Louis d’Orléans est d’autant moins oublié que sa disparition brutale a marqué le début de la guerre civile, une guerre qui, pendant plusieurs décennies, devait ensanglanter le royaume. La mémoire de la victime s’enracine donc dans l’actualité et celle-ci, en retour, confère à sa mort un caractère traumatique d’autant plus fort que, pour chaque partie, l’assassinat se trouve être le lieu d’une intense polémique. Il n’est que de relire cette chronique de 1409, pour en discerner une trace. La Fortune seule ici explique la mort de Louis d’Orléans. De Jean sans Peur, il n’est rien dit.
Mon propos, dans les pages qui suivent, est de rendre compte de cette polémique, de montrer comment elle s’orchestre, comment le récit historique peut contribuer au débat politique.