Louis XII. Père du peuple : grandeur et décadence d’un mythe politique, du XVIe au XIXe siècle.
Laurent Avezou
Avezou L., « Louis XII », Revue historique 2003/1, n° 625 , p. 95-125.
Extrait de l’article
Au regard de la mémoire collective, la médiocrité est difficile à porter. Le panthéon des rois de France en fournit maintes illustrations. Louis XIII ne peut guère se targuer de la seule gloire d’avoir laissé faire son principal ministre Richelieu. Si Jean le Bon, Charles VIII ou Henri II se voient concéder un certain panache à la guerre, il n’en souligne que davantage le caractère chimérique de leur politique. Et seule sa folie sauve Charles VI de l’enfer historiographique pour le reléguer dans un purgatoire désolé. Mais si un souverain semble pleinement incarner le caractère atonal, neutre et insipide de la médiocrité, c’est bien Louis XII (1498-1515).
Ses biographes les plus récents l’ont tous souligné, comme pour se disculper d’avoir choisi un sujet d’allure aussi peu avenante. Si Bernard Quilliet allègue qu’ « il est toujours exaltant de raconter les médiocres, ces médiocres qui, ne l’oublions pas, représentent une bonne part de l’humanité », cette précaution est éloquente en soi. Frederic Baumgartner reprend le jugement de Bernard Chevalier qualifiant le règne de Louis XII de « no man’s land où ni les médiévistes ni les modernistes n’osent encore pénétrer ». Et Didier Le Fur, dans sa toute récente biographie du souverain incolore [3], décalque cette appréciation, tout en rappelant son caractère localisé dans le temps.
En effet, l’image d’un Louis XII « roi médiocre » est une identification par défaut de l’historiographie contemporaine, qui a quelque peu occulté le souvenir du Père du peuple, modèle d’équilibre et de mesure, suffisamment sollicité jusqu’au milieu du XIXe siècle pour poser à l’historien des mythes politiques un certain nombre de questions. Peut-il y avoir une mystique de la médiocrité ? Quelle fonction fédératrice lui est-elle attribuée ? Pourquoi, dans le cas qui nous occupe, s’estompe-t-elle après avoir été mise en avant pendant plus de trois siècles ? C’est toute la trame d’une héroïsation en creux, déceptive, mais dont l’exemplarité réside précisément dans ce caractère avorté, qu’il faut dévider en remontant aux sources du mythe.