Sacrifice et politique satyrique : Madame de Maintenon dans les libelles diffamatoires
Lise Leibacher-Ouvrard
Leibacher-Ouvrard, Lise, Sacrifice et politique satyrique : Madame de Maintenon dans les libelles diffamatoires, Albineana, Cahiers d’Aubigné, 10-11, 1999. Autour de Françoise d’Aubigné Marquise de Maintenon. Tome I. Actes des Journées de Niort 23-25 mai 1996, sous la direction de Alain Niderst; p. 107-122.
Extrait de l’article
« un hors-la-loi et la figure même de la loi »
(Derrida)
Dans le domaine de la fiction, la fin du XVIIe siècle a été marquée par le déclin du roman héroïque au profit, entre autres, des nouvelles historiques ou galantes, des mémoires et biographies réelles ou fabriquées, des chroniques scandaleuses et libelles satyrico-politiques. Si, dans ces deux derniers domaines, en France et avant Marie-Antoinette, peu de femmes fortes ont été épargnées, peu ont été aussi systématiquement et longuement brocardées que Madame de Maintenon ne l’a été. Les textes où elle a figuré ont déjà souvent fait l’objet d’analyses stimulantes et variées, mais c’est sur Louis Le Grand que l’attention était portée. Or relire une vingtaine de ces écrits de manière groupée, et en centrant le regard sur Françoise d’Aubigné, n’est pas sans intérêt, l’analyse montrant que si la fiction a fait d’elle une femme dissolue, c’est qu’elle était la victime sacrificielle idéale d’une crise d’indifférenciation d’origines variées à l’œuvre à cette époque dans l’espace social.
Au début de son règne personnel, le roi lui-même ne figure qu’en filigrane dans les fictions scandaleuses. L’Histoire amoureuse des Gaules (1667) en témoigne. Vingt ans plus tard, les choses ont changé. Les caquets d’alcôve ne sont pas toujours sans gloire ou sympathie pour le monarque, mais il est vrai qu’après l’arrivée de Maintenon, « la démolition du héros prend un tout autre aspect » (Ferrier 50). Les attaques, entre autres, s’y font ad feminam également. «J’appelle un chat un chat et la Maintenon une putain », disait l’anonyme Esprit du cardinal Mazarin, et c’est Maintenon-Meretrix qui est d’abord vilipendée, même si, dans la pratique, le stupre ou l’adultère n’ont sans doute eu aucune réalité. Si, dans Le Cochon mitré, Scarron choisit de l’appeler « la lubrique » (8-9), c’est surtout pour s’en prendre aux galants jésuites qui l’entouraient à la Cour. Mais bien des textes feront remonter ce penchant plus avant. Maintenon, femme ouverte à tout et à tous, circule très librement. Dans Les Amours de Madame de Maintenon, réédition de (La) Cassette ouverte de l’illustre criole, le long poème où est fait le rapport circonstancié de la virginité que perd (faussement) Françoise d’Aubigné dans les bras du marquis de Chevreuse (229-230) est suivi de la relation d’une « certaine enflure de ventre » qu’elle feint d’attribuer à de l’hydropisie (239), et Scarron s’avouera bien déçu de trouver « la brèche toute faite » (244). Le Divorce royal le présentait pourtant tenant à prendre pour épouse « de la chasse blessée », et il l’avait si bien « prise p[utain] » qu’elle avait « déjà fait une fille » nommée Babbé (277-78). L’Esprit familier peint Scarron cocufié (117) ; les Intrigues galantes présentent Maintenon déniaisée avant d’être épousée (295), et ce n’est pas dans sa jeunesse seule qu’elle aurait été débauchée.