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Vies privées et affaires publiques sous l’Ancien Régime

Robert Darnton

Darnton R., « Vies privées et affaires publiques sous l’Ancien Régime », Actes de la recherche en sciences sociales 2004/4, no 154, p. 24-35.

Extrait de l’article

Enquêter sur les formes de circulation des nouvelles avant même l’apparition d’une presse quotidienne capable de façonner une « opinion publique », sur la manière dont se collectent, se rassemblent et s’échangent les informations, sur la place de l’oralité dans la formation et la transformation des jugements portés sur la monarchie, c’est en partie se donner les moyens de comprendre, dans le cas particulier de la France du milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire dans une situation à la fois de forte censure et de dégradation de l’image de la couronne et du roi lui-même – ce qui est relativement nouveau –, comment les dominés sont à même de se doter d’un principe d’analyse sur un monde dont ils sont totalement exclus, sinon comme spectateurs.

Que le terme par lequel l’ensemble des acteurs (libraires, colporteurs, intellectuels marginaux ou déclassés, chambrières et autres domestiques, informateurs de la police) désignent ces affaires banales et pourtant nombreuses de délits d’opinion dans lesquelles ils sont impliqués soit celui de la figure rhétorique de l’application n’est évidemment pas un hasard puisqu’il évoque, dans la langue du XVIIIe siècle, à la fois un engagement et une opération intellectuelle, un investissement et un jugement.

En appliquant au roi et à ses maîtresses, et plus largement à la cour, des récits qui décrivaient en apparence des mondes imaginaires ou lointains et qui ne se déchiffraient qu’avec des clefs qu’il fallait savoir se procurer et utiliser convenablement, ils s’appliquaient, s’investissaient, s’engageaient dans le travail social particulier et particulièrement difficile qui consiste à se donner un point de vue sur le monde social, un principe d’interprétation, que l’on peut, malgré la censure et la répression, faire partager et donc légitimer partiellement ; ils contribuaient, d’une certaine manière, à la formation d’un contre-pouvoir symbolique dont le livre de Mlle Bonafon n’est que l’avant-courrier.

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