À propos de « l’établissement de la raison d’état et la Saint-Barthélemy »
Denis Crouzet
Denis Crouzet, « À propos de "l’établissement de la raison d’état et la Saint-Barthélemy" », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 20 (1998).
Extrait de l’article
Le beau texte de Marie-Madeleine Fragonard me suggère l’interrogation suivante : certes, on constate que la Saint-Barthélemy a été un tournant, certes le massacre accompli malgré la "foi" royale déclenche un séisme qui initie la formation d’une pensée politique de légitimation ou de critique, mais on peut se demander, avant la conceptualisation textuelle du fait du crime d’État, s’il n’y avait pas déjà, dans la sphère de l’exercice du pouvoir, une détermination empirique posant le principe d’un État procédant, à travers les décisions du Prince, hors de toute certitude et hors de toute lisibilité, n’ayant comme fin que la préservation du bien commun.
Il est frappant de constater qu’autour de 1560 le Prince idéal est cerné comme le Prince qui capitalise l’ensemble des savoirs et qui, par là, accède à une sagesse et une piété qu’aucun de ses sujets ne peut posséder et que, surtout, il ne doit pas divulguer. Avant le Prince qui assume, par la voix de Guy du Faur de Pibrac par exemple, au nom d’un droit légitime inhérent au pouvoir même, une violence de salut public contre les partisans d’une cause dont l’objet aurait été la subversion de l’État et l’extermination de la dynastie des Valois-Angoulême, avant la définition réactive d’une tyrannie inspirée par des conseillers nourris des maximes athéistes de Machiavel, n’y a-t-il pas eu le premier segment d’une monarchie du secret, ou plutôt de la non-lisibilité suggérant la décision en tant que pluralité de possibles ?