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’Godefroy et le mouvement des peuples’. Singulier et collectif dans l’écriture de la guerre (XIIe–XIIIe siècles) 

Bénédicte Milland-Bove

MILLAND-BOVE Bénédicte, « ’Godefroy et le mouvement des peuples’. Singulier et collectif dans l’écriture de la guerre (XIIe–XIIIe siècles) », Le Moyen Age, 2019/1 (Tome CXXV), p. 129-148

Extrait de l’article

Qui agit dans la guerre, et plus largement, dans l’histoire ? Guerre et Paix, le roman de Tolstoï, est, dans sa trame romanesque comme dans ses développements théoriques, un manifeste visant à relativiser l’importance des grands hommes dans le cours de l’histoire. « Le mouvement des peuples à l’époque des croisades s’explique-t-il par l’étude de la vie des Godefroy et des Louis et de leurs dames ? » demande Tolstoï, et il répond immédiatement : « l’histoire des Godefroy et des ménestrels ne peut assurément contenir la vie des peuples ». La référence médiévale, sous la plume de Tolstoï, est ambivalente. Elle renvoie à la première croisade, moment historique où, de façon remarquable, a émergé une action collective qui s’est distinguée, aux yeux mêmes des contemporains, de celle des chefs (les historiens parlent de « croisade populaire » avant la « croisade des rois »). Mais, dans le même temps, Tolstoï disqualifie un certain nombre de récits de ces événements, centrés sur des héros comme Godefroy. En effet, il a sans doute en tête autant La Jérusalem délivrée du Tasse que ses souvenirs d’enfance sur l’histoire des croisades . Dans un autre chapitre de son roman, il dénonce « les poèmes épiques, où les héros constituent tout l’intérêt de l’histoire ».

Les interrogations autour de l’articulation entre le collectif et le singulier concernent donc autant une conception de l’histoire qu’une écriture de l’histoire. De façon générale, le Moyen Âge semble fonctionner chez l’écrivain russe comme un repoussoir, transmettant une image idéalisée et fausse de la guerre. Certains personnages, ou l’auteur lui-même, dénoncent ce qu’ils appellent « la chevalerie », une guerre d’apparat et de décorum dans laquelle on parlemente, on fait état de règles, et où l’on peut faire des prisonniers. Or, pour Tolstoï, l’unique et seule guerre qui doit exister est une guerre défensive qui engage chacun jusqu’à la mort.

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