Jeu des échecs, société politique et art de la guerre. Les révolutions du XVIIIe siècle
Didier Renard
Renard, Didier, Jeu des échecs, société politique et art de la guerre. Les révolutions du XVIIIe siècle, Politix, vol. 15, n° 58, Deuxième trimestre 2002. Guerres et paix, sous la direction de Annie Collovald et Pierre Lascoumes, p. 89-107
Extrait de l’article
“Ludimus effigiem belli, simulataque veris
Proelia, buxo aciesfictas et ludicra régna.”Marco Girolamo Vida, Scacchia ludus, 1527
Lorsque François-André Danican Philidor fait paraître à Londres, en 1749, L’Analyze des Echecs, il ouvre la voie à une double révolution. Le jeu des échecs, introduit en Europe autour de l’an mil, s’y était installé comme une pratique sociale caractéristique des élites militaires et politiques. Jeu emblématique des chevaliers que la chanson de geste montre y révélant la noblesse de leurs origines et la littérature courtoise y conquérant leur dame, il devient jeu curial, « gentile intertenimento ed ingenioso » avant d’apparaître au XVIIe siècle comme le jeu royal par excellence dont la philosophie, inspirée de la conduite de la guerre et la représentant, prépare les jeunes princes aux devoirs à venir de leur règne.
On sait que dès le XVe siècle seigneurs et souverains rémunèrent les joueurs les plus talentueux pour qu’ils se mesurent à eux, à leurs hôtes et aux champions de cours voisines ou rivales. Ainsi les meilleurs joueurs italiens défont-ils leurs adversaires espagnols en 1575, à Madrid, à la cour, en présence de Philippe II. Ce sont ces joueurs qui, à leur usage personnel ou en hommage à leurs patrons, rédigent les premiers ouvrages techniques, recueils de parties augmentés parfois de conseils de comportement. Leur rédaction et leur contenu témoignent d’une pratique où le mouvement des pièces majeures s’ouvrant dès que possible le passage vers le roi adverse est invariablement privilégié. Les parties de l’époque, celles par exemple que nous connaissons de la rencontre de 1575, sont donc brèves et spectaculaires. Elles révèlent au regard de ce qu’on connaît aujourd’hui une médiocre qualité, mais d’abord et surtout une conception radicalement différente du jeu.