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L’analyse des passions dans la dissolution du corps politique : Spinoza et Hobbes

Julie Saada-Gendron

Julie Saada-Gendron, "L’analyse des passions dans la dissolution du corps politique : Spinoza et Hobbes", dans Astérion, année 2005, numéro 3.

Extrait de l’article

Dans la lettre du 2 juin 1674 qu’il adresse à Jarig Jelles, Spinoza expose les différences entre sa politique et celle de Hobbes. Le point central qui le sépare du philosophe de Malmesbury porte sur le droit naturel : tandis que Spinoza construit une théorie politique où le droit naturel est maintenu dans la cité, Hobbes le supprime, pensant dès lors une discontinuité entre l’état de nature et l’état civil. De fait, cette rupture entre la nature et l’institution du politique est établie dès le premier traité politique, la seconde partie des Elements of Law, mais elle se modifie dans le Léviathan, où Hobbes cesse de parler du corps politique en le comparant au corps naturel, lorsqu’il est question de sa génération, sinon dans l’introduction et au chapitre XXIX consacré aux causes de la dissolution de la république, causes qui consistent généralement en une mauvaise institution de celle-ci. Il peut paraître surprenant que le concept de corps politique n’y apparaisse quasiment plus, alors qu’il constituait le titre même du premier ouvrage, et que la comparaison de l’homme artificiel et de l’homme naturel est, dans l’ouvrage de 1651, la plus développée. Cette restriction conceptuelle peut trouver sa justification dans le souci qu’a Hobbes d’éviter toute confusion entre un corps naturel et un corps politique – l’institution de ce dernier consistant à créer une puissance artificielle issue d’une volonté ou d’un acte contractuel. L’une des différences notoires entre les Elements of Law et le Léviathan est en effet que, dans le premier ouvrage, le transfert de droit est défini par un mécanisme de dessaisissement du droit naturel des individus au profit du souverain, tandis que le Léviathan construit une théorie de la représentation juridique, rompant par là avec toute conception naturaliste de l’État au profit d’un artificialisme intégral. Telle est la différence essentielle que Spinoza, qui définit la cité précisément comme un corps politique, établit entre sa politique et celle de Hobbes.

Mais on peut observer une seconde différence : alors qu’elles jouent un rôle déterminant chez Spinoza, les passions n’ont plus chez Hobbes qu’un rôle secondaire dans les moments décisifs de sa théorie, lorsqu’il pense la constitution puis la dissolution de la république. Nous chercherons les raisons de cette double restriction à partir de la question de la dissolution du corps politique ou de la république. L’idée même de dissolution du corps politique est à interroger alors qu’elle demeure, tout au long de l’âge classique, effacée par les théories du contrat : celles-ci se fondent sur la conception d’un état de nature qui devient, à cause de ses contradictions internes, un état de guerre auquel il faut mettre fin par un artifice rationnel, le pacte. Les passions à l’œuvre dans le corps politique, aussi bien celles qui l’engendrent que celles qui le détruisent, semblent impensables dans le cadre purement juridique de cette théorie : ne sont analysés ni les mécanismes passionnels d’adhésion au politique, ni la menace de dissolution de l’État. C’est précisément en examinant les causes de cette dissolution que nous rechercherons la justification de ce changement conceptuel chez Hobbes, et en déterminant le rôle des passions au sein du corps politique chez Hobbes comme chez Spinoza.

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