Le glaive et la chair : le pouvoir et son incarnation au temps des derniers Valois
Nicolas Le Roux
Nicolas Le Roux, "Le glaive et la chair : le pouvoir et son incarnation au temps des derniers Valois", dans Sylvène Édouard, Nicolas Le Roux (éd.) : La vocation du Prince. L’engagement entre devoir et vouloir (XVIe – XVIIe siècles), Chrétiens et Sociétés (XVIe-XXIe siècles), numéro spécial II, 2013.
Extrait de l’article
La théorie des deux corps du roi établie par Ernst Kantorowicz à partir de l’examen des pratiques funéraires des rois d’Angleterre du bas Moyen Âge a fourni un cadre heuristique très fécond pour les historiens du pouvoir de la première modernité. La dichotomie entre la dignité immatérielle qui ne meurt jamais et la dimension incarnée de l’autorité, périssable et labile, paraît s’imposer comme allant de soi quand on se penche sur les institutions de l’ancienne monarchie. Pour autant, les hommes du XVIe siècle ne concevaient guère la monarchie autrement qu’incarnée. Servir le roi, c’était servir un prince auquel on était lié personnellement, et non une institution abstraite. Cette dimension éminemment personnelle des relations de pouvoir explique qu’on n’avait guère de scrupule à manifester son mécontentement ou son incompréhension à l’égard d’un souverain qui ne correspondait pas aux attentes placées en lui. Cependant, depuis la fin du XVe siècle, la monarchie s’était engagée dans un processus d’exaltation conjuguée de la dimension religieuse du pouvoir et de la fonction guerrière du souverain. L’idéal chevaleresque s’imposait comme un horizon moral et esthétique naturel. Charles VIII, Louis XII, François Ier et Henri II ont pris la tête de leurs armées en Italie ou sur les frontières de leur royaume. La guerre de la Renaissance était particulièrement violente et les villes d’Italie ont fait l’amère expérience de la brutalité extrême avec laquelle se comportaient les conquérants1. Le caractère fondamentalement incarné de l’autorité se révéla d’une façon éclatante à la mort d’Henri II.