Les poisons de Jacques Cœur
Pierre Prétou
Prétou, Pierre, « Les poisons de Jacques Cœur », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 17 | 2009, 121-140.
Extrait de l’article
Dans l’encre du venin réputé avoir emporté la Dame de Beauté, nombre de plumes firent d’une mort toxique, un joyau d’histoire de France enchâssé dans le cercle de l’infortune qui accabla l’Argentier du roi, jusqu’à sa condamnation en 1453. L’association de deux faits, l’anéantissement de l’emblème de la beauté aimée du roi d’une part, le procès de la personnification de l’argent d’autre part, fit de l’affaire Jacques Cœur un objet d’histoire remarquable dans lequel le poison se mêlait au motif de la Roue de Fortune, au triomphe de Charles VII, à la construction de l’État et à l’essor du négoce2. Toutefois, l’écriture historique, prompte à s’emparer de Jacques Cœur afin de faire émerger les contradictions opposant condition marchande et service du roi, s’évertue encore à dissocier les deux événements, poison charnel et fraude d’argent, réduisant ainsi la part de la mort toxique à celle d’une simple attaque ad hominem qui avait opportunément abattu le serviteur du roi.
Crime de poison, crime énorme, crime de plagiat ou de prison privée, crime de fraude, crime de faux-monnayage, crime d’intelligence avec les Sarrasins : l’arrêt de condamnation de Lusignan de 1453 additionne les chefs d’accusation sans pour autant les réunir explicitement dans une seule et même qualification. Cette abondante liste de méfaits contenue dans le procès Jacques Cœur fut ensuite recueillie dans les collections érudites de l’époque moderne, collections qui recensaient alors les anciens procès impliquant le crimen maiestatis3. Toutefois, si la lèse-majesté est bien citée dans l’acte, c’est le crime de venin qui englobe l’affaire : il ouvre, puis ferme la rédaction de la sentence, après avoir circulé dans toutes les informations criminelles.