Une archéologie du jacobinisme : quelques remarques sur la « thèse royale » dans la seconde moitié du 18e siècle
Jean-Fabien Spitz
Spitz, Jean-Fabien, « Une archéologie du jacobinisme : quelques remarques sur la « thèse royale » dans la seconde moitié du 18e siècle », Dix-huitième siècle 1/2007 (no 39), p. 385-414.
Extrait de l’article
Lors des débats de l’assemblée constituante qui ont conduit à l’adoption de la première constitution révolutionnaire, un grand nombre de bons esprits, qui avaient pourtant réfléchi avec sérieux à la question de la liberté dans une grande nation moderne et commerçante, ont rejeté tout véritable équilibre des pouvoirs, toute forme de bicamérisme et tout partage réel de la puissance politique : comme on le sait, la constituante ne voulut concéder au roi — et du bout des lèvres — qu’un veto suspensif qui ne dérogeait pas réellement au principe de la souveraineté du peuple et du corps de représentants censé en exprimer la volonté. La maxime de Montesquieu — le pouvoir doit arrêter le pouvoir — était donc rejetée au profit de l’affirmation du caractère unitaire et indivisible de la volonté générale, source unique de la loi et du droit.
De multiples explications ont été proposées de cette prise de position qui, deux siècles après, nous paraît paradoxale : l’influence de Rousseau, les habitudes de pensée héritées de l’absolutisme d’ancien régime, la volonté unificatrice, le prestige d’une philosophie abstraite aux dépens du pragmatisme et de l’expérience. Mais le mystère demeure : comment a-t-on pu en venir, en France, à penser qu’un pouvoir absolu unique et centralisé était plus favorable à la liberté qu’une pluralité de pouvoirs qui se font contrepoids les uns les autres ? Comment a-t-on pu penser que la centralisation de l’État et l’unité de la volonté politique n’étaient pas en contradiction avec la liberté individuelle mais qu’elles en étaient au contraire la condition indispensable et la meilleure garantie ? L’idée la plus naturelle n’est-elle pas de penser que ces deux éléments varient en raison inverse et que plus les prérogatives de l’État s’étendent, plus la liberté des individus décroît ?