Constructions chrétiennes d’un espace politique
Dominique Iogna-Prat
IOGNA-PRAT D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le Moyen Age 2001/1, Tome CVII, p. 49-69.
Extrait de l’article
Les anthropologues de la territorialité nationale posent aux historiens la question des « origines » propre à expliquer la nature de l’ancrage identitaire dans le territoire. En matière de nation, dans le sens actuel du terme – qui date du XVIIIe siècle dans sa variante culturelle (Herder) ou politique (Rousseau) –, le médiéviste n’a pas grand-chose à dire, sinon que la genèse des États au cours du Moyen Âge éclaire, mais indirectement, le problème des « protonationalismes », ce qui revient à dire que le nationalisme moderne s’alimente à nombre de matériaux anciens, manières de rémanences médiévales.
Sur la question de la patrie et de l’histoire – ou plutôt les histoires – de l’appartenance à un territoire national, le médiéviste a, en revanche, beaucoup à apporter. C’est ce que nous tenterons de rappeler sur la base d’une étude classique (E. Kantorowicz) et de publications récentes, mais suivant un angle d’attaque particulier : la « spatialisation du sacré» dans l’Occident médiéval. L’anthropologue A. Zempléni a défini la patrie comme une « aire de rémanence possible de toutes sortes de territorialités antérieures – religieuses, politiques, linguistiques, ethniques, culturelles – ».
En nous focalisant sur les deux premières de ces formes de territorialité, nous essaierons de voir comment l’Église, tout en entraînant les fidèles vers l’Au-delà, s’est constituée comme un pouvoir ici-bas, comment la chrétienté latine s’est définie comme une monarchie spirituelle territorialisée, phénomène propre à marquer toute l’histoire occidentale des formes d’encadrement, de contrôle, de sujétion (en un mot, l’histoire des pouvoirs, et à faire des théories politiques médiévales avant tout des théologies politiques.