Renverser la marmite papale: construction d’un discours identitaire huguenot à l’aube des guerres de religion
Vincent Robert-Nicoud
Vincent Robert-Nicoud, Renverser la marmite papale: construction d’un discours identitaire huguenot à l’aube des guerres de religion, Histoire culturelle de l’Europe, 1, 2016
Extrait de l’article
Contexte
A Laon, au Nord-Est de Paris, un jour de foire au lendemain de la Fête-Dieu de 1562, on expose et on distribue nombre de « livres et estampes injurieux au pape ». Parmi eux, le Renversement de la grand marmite constitue l’exemple le plus abouti d’une riche tradition satirique autour de l’image de la marmite. Cette estampe, dont on sait qu’elle a aussi circulé sous forme de tableau, représente une marmite fendue remplie de tiares et de crosses sur le point de se briser et de se renverser : la Vérité, sous la forme d’un ange armé d’un livre-épée, s’emploie à la faire tomber, tandis qu’une foule de prêtres, de moines, de cardinaux et de théologiens cherchent à la maintenir. L’association de la marmite au Pape et à son Église, si elle peut paraître saugrenue au XXIe siècle, est suffisamment scandaleuse pour enflammer l’imagination des polémistes huguenots et pour provoquer l’ire des catholiques.
C’est dans le contexte troublé des années 1560, qui marquent à la fois l’apogée de la cause réformée en France et les prémices des guerres de religion, que se cristallise le motif polémique huguenot du renversement de la marmite papale. Cette période troublée voit la multiplication de pamphlets, de placards et de divers opuscules de propagande. Loin de se cantonner aux média écrits et érudits, la polémique s’affiche et se donne en spectacle dans les rues, envahit les marchés et les foires et s’adresse à tous. Le rire permet non seulement de satiriser l’ennemi, mais aussi de rendre accessible, voire plaisant, les éléments essentiels des débats théologiques sur l’Eucharistie et la messe au cœur de la Réforme. Le discours polémique huguenot s’inscrit dans un rapport d’opposition binaire et cherche à représenter le Pape et le clergé catholique comme des êtres monstrueux, appartenant à un monde renversé. La prolifération du motif de la marmite papale et sa diffusion à travers une grande variété de supports soulignent la pertinence de la contribution de ce motif à l’élaboration de la légende noire papale ainsi qu’au renforcement, par contraste, de l’identité huguenote.