Aggripa d’Aubigné : de l’histoire aux mémoires et à l’autobiographie
André Thierry
André Thierry, "Aggripa d’Aubigné : de l’histoire aux mémoires et à l’autobiographie", dans Cahiers de l’AIEF, 1988, n° 1, p. 23-38.
Extrait de l’article
[...] Incapable de demeurer en repos, Agrippa d’Aubigné entreprit, avant même la signature de l’Edit de Nantes, une œuvre de très longue haleine (elle devait l’occuper près de vingt années) et de vaste ambition, la rédaction d’une Histoire universelle de son temps.
Conçue d’abord en effet pour être le commentaire et le garant des Tragiques, elle allait finalement relater en détail les guerres civiles de France, les rapports entre ce pays et ses voisins, et donner un aperçu des événements survenus dans le reste du monde pendant la période de temps couverte par le livre. Les sources de l’historien : les ouvrages de ses devanciers, en particulier La Popelinière et De Thou, les mémoires manuscrits obtenus de vétérans des deux camps et de tout grade, ses souvenirs personnels.
Or, comme, dans son travail de reconstruction du passé, l’auteur « se trouva soi mesme à tous les coups en son chemin », son récit s’enrichit peu à peu des témoignages du courtisan, du négociateur et surtout du soldat qu’il avait été. La rédaction des passages dans lesquels il se met en scène, de plus en plus nombreux et de plus en plus denses au fur et à mesure que s’édifiait l’ouvrage, lui donna un vif plaisir avoué, mais perçu sans doute comme narcissique, donc critiquable, car il les introduit souvent par des formules du genre : « Je demanderai congé à mon lecteur de dire les principaux traicts [de ce combat] pource que la science des périls d’autrui nous apprend à desmesler les nostres ». Souvent aussi, il se justifie de traiter « si expressément » de « choses petites de soi », donc d’oublier le sens des proportions, voire de se laisser entraîner dans de véritables digressions, par l’utilité des leçons que pourront en retirer les jeunes capitaines et les futurs négociateurs. Pourtant, dans un texte complétant la préface, où l’imprimeur est censé s’adresser au lecteur, mais qu’il rédigea sans aucun doute lui-même, il affirme hautement la légitimité du discours autobiographique en se référant à d’illustres prédécesseurs.