Comment on récrit l’histoire : Louis XIV de Lavisse à Gaxotte
Jean-François Fitou
Jean-François Fitou, "Comment on récrit l’histoire : Louis XIV de Lavisse à Gaxotte", dans Annales, année 1989, volume 44, numéro 2, p. 479 - 497.
Extrait de l’article
L’histoire bégaie souvent, on le sait. Cette constatation désabusée gagnerait cependant à être rapportée en priorité à la manière dont on l’écrit. L’historiographie, genre littéraire, se caractérise jusqu’à nos jours par la fixité de la règle qui la commande : la répétition, le recours aux autorités, la technique du centon et, d’une façon générale, la fidélité à l’égard de la norme en vigueur. L’histoire est la chimie la plus inoffensive qu’ait élaborée l’esprit humain, puisqu’elle se complaît au conservatisme épistémologique.
Aussi, n’est-il guère surprenant que le lecteur naïf se prenne parfois à retrouver, sous le crépi pimpant d’un ouvrage, bien des moellons extraits d’un volume plus ancien ou un nombre non négligeable de pièces rapportées de bric et de broc. Autrement dit, il n’est pas rare que les historiens pillent de bonne foi et en toute tranquillité d’âme les ouvrages d’autrui pour construire leurs propres chefs-d’œuvres. Comme les bâtisseurs de cathédrales, une fois dressé le plan de leur monument, ils empruntent de confiance aux architectes antiques les matériaux disponibles. Dans les « chantiers » les plus novateurs, se trouvent ainsi incorporées de vieilles pierres à la fidélité desquelles le constructeur se fie pour caler son édifice. L’histoire est un discours répétitif, pour peu qu’à la diversité de surface des points de vue on accepte de substituer la relative homogénéité de la matière factuelle qui les supporte.