Femmes et historiennes à la Renaissance en France
Nadine Kuperty-Tsur
Kuperty-Tsur Nadine, « Femmes et historiennes à la Renaissance en France », Albineana, Cahiers d’Aubigné, 31, 2019. Paradoxes d’historiens : les enjeux de l’écriture de l’histoire en France (1560-1630) p. 175-190.
Extrait de l’article
La Renaissance compte une majorité écrasante d’historiens contre une proportion infime d’auteures dont les écrits peuvent être qualifiés d’historiographiques sans toutefois que leurs auteures se revendiquent comme historiennes. Dans un article séminal sur les conditions nécessaires à l’écriture de l’Histoire, Natalie Zemon Davis analyse les raisons de la disproportion flagrante entre les écrits historiques masculins et les écrits féminins à une époque où justement les femmes marquent leur présence dans des domaines considérés comme exclusivement masculins. Sur le plan politique notamment, par le hasard des successions et des guerres, Louise de Savoie gouverne en l’absence de François Ier pendant les guerres d’Italie et mènera avec sa fille Marguerite de Navarre les âpres négociations pour libérer le roi des mains de Charles Quint. À la mort brutale de Henri II, Catherine de Médicis assure la régence du royaume de France au nom de ses enfants, pouvoir qu’elle continuera d’exercer même lorsqu’ils seront en âge de régner. Elisabeth I règnera sur l’Angleterre, Marie Stuart en Écosse, etc. Tout cela est bien connu et donne pour l’Europe, au niveau le plus élevé, une image répétée de femmes en capacité de pouvoir. Les historiens contemporains des guerres de religions comme Blaise de Monluc ou encore Agrippa d’Aubigné n’ont pas manqué d’enregistrer le rôle actif, parfois même de combattantes, qu’elles assumèrent pour défendre leurs familles et leurs biens, sans pour autant en témoigner elles-mêmes par écrit. En effet, si historiens et mémorialistes masculins ne manquent pas d’exprimer leur admiration devant la mobilisation des femmes lors du siège de Sienne ou encore de celui de La Rochelle, force est de constater que les écrits ou témoignages rédigés par les intéressées ellesmêmes restent rares. La maîtrise de l’écrit exige une éducation plus soignée et plus poussée que la lecture qui est une compétence plus facile à acquérir, or, exclues des collèges et des universités, les femmes étaient, de façon générale, bien moins éduquées que les hommes. À cette première discrimination, il faut également ajouter les interdits culturels implicites attachés à la publication d’écrits féminins. Publier un ouvrage signifiait revendiquer une autorité sur la scène publique, les clauses de modestie qui représentent un passage obligé dans les préfaces rédigées par des auteurs masculins le prouvent bien. Publier signifiait également s’exposer sur la place publique, l’autorité et le dévoilement attachés à la publication étaient difficilement compatibles avec la modestie et la réputation de vertu que la société de la Renaissance exigeait des femmes.