L’histoire au travail. Le nouveau «Siècle de Louis XIV» : un bilan historiographique depuis vingt ans (1980-2000)
Joël Cornette
Joël Cornette, "L’histoire au travail. Le nouveau «Siècle de Louis XIV» : un bilan historiographique depuis vingt ans (1980-2000)", dans Histoire, économie & société, année 2000, volume 19, numéro 4, p. 561 - 605.
Extrait de l’article
Pendant plusieurs siècles, l’historiographie a été dominée par une approche du politique en grande partie confondue avec une histoire institutionnelle et une histoire bataille. Ces deux histoires ont accompagné la construction d’une identité nationale, royale ou républicaine, de la monarchie absolue aux années 1930.
Au cœur de cette fabrication identitaire, le «monument Louis XIV» (le roi, le règne, Versailles...) constitue sans doute la plus étonnante entreprise de propagande, remarquable par sa longévité : voulue par le souverain lui-même, elle a traversé le temps, les modes, les régimes ’. Non sans vicissitudes. La Révolution, bien sûr, a rejeté le «tyran Louis Capet», mais la monarchie de Juillet, on le sait, a ressuscité Versailles, converti en musée à la gloire des héros de la nation. Quant à la IIIe République, elle annexe le Roi Soleil : Ernest La visse, le grand historien d’une histoire de France quasi officielle, le transforme en archétype de «roi de gloire», pilote d’une monarchie «administrative» qui préfigure, par bien de ses aspects et de ses maîtres d’œuvre (notamment Colbert), la République bourgeoise et travailleuse qui s’édifie alors. Ce modèle fut reproduit, diffusé, vulgarisé à des millions d’exemplaires, et sur tous les tons dans tous les manuels des écoliers et des lycéens... jusqu’à nos jours. «L’homme s’est plu de tout temps à inventer des êtres supérieurs d’humanité, comme pour se relever de sa faiblesse. Les anciens avaient leurs demi-dieux [...], l’ancienne France avait son surhomme, qui était le Roi ». C’est ainsi que dans son Histoire de France, Ernest Lavisse justifie la fascination toujours aussi vive exercée par celui qui se faisait appeler «le plus grand roi du monde», presque transformé en héros républicain.