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Le procès fait au Procès de civilisation. A propos d’une récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias

Dominique Linhardt

Linhardt, Dominique, Le procès fait au Procès de civilisation. A propos d’une récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias, Politix, vol. 14, n° 55, Troisième trimestre 2001. Analyses politiques allemandes, sous la direction de Fabien Jobard et Pascale Laborier, p. 151-181

Extrait de l’article

Depuis 1988 s’est développée en Allemagne, mais aussi partiellement au-delà, aux Pays-Bas et en Angleterre pour l’essentiel, une controverse à propos de la théorie du processus de civilisation. Cette controverse commence par la critique frontale que l’ethnologue et historien de la culture Hans Peter Duerr oppose en 1988 dans le premier volume de son Mythe du processus de civilisation aux thèses de l’opus magnum de Norbert Elias. Trois autres volumes verront le jour par la suite, chaque publication marquant, par les réactions suscitées, les moments d’effervescence d’une controverse qui s’étale sur plus de dix ans. Le but explicite de cette entreprise intellectuelle est d’établir la fausseté de la théorie du processus de civilisation en montrant que « l’affirmation selon laquelle l’homme "occidental" aurait, au cours des cinq cents dernières années, bien mieux réussi ce que Nietzsche avait appelé la "domestication de l’animalité de l’être humain" que les Orientaux, les Africains ou les Indiens est erronée ».

La démonstration de Hans Peter Duerr se présente sous la forme d’un long enchaînement : sur près de deux mille cinq cents pages se succèdent d’innombrables situations, événements, exemples tirés de l’histoire, de la littérature, des mythologies, de l’ethnologie ou de l’histoire de l’art. La multiplicité et l’hétérogénéité des situations tiennent lieu de soutènement pour assigner ses limites à l’épuration analytique, au « malthusianisme théorique » de l’approche éliasienne. Beaucoup ont ainsi vu la clef de la controverse dans un affrontement entre deux manières de concevoir les sciences de l’homme et de la culture. Thomas Macho l’interprète par exemple comme une confrontation entre deux « styles méthodologiques » antagoniques : le style du « chasseur » et celui du « cueilleur ». Norbert Elias serait le représentant typique de l’ordre des chasseurs. Sa démarche se caractériserait par une « symptomatique inattention au détail » contrebalancée par l’intérêt pour la « grande théorie ». Duerr, de son côté, serait l’exemple même du cueilleur, amassant des quantités énormes d’observations particulières, de fragments, de faits divers qu’il aligne patiemment les uns derrières les autres.

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