Le regard du XIXe siècle sur le XVIe siècle français : ce qu’ont vu les revues d’architecture
Françoise Boudon
Françoise Boudon, "Le regard du XIXe siècle sur le XVIe siècle français : ce qu’ont vu les revues d’architecture", dans Revue de l’Art, année 1990, volume 89, numéro 89, p. 39-56.
Extrait de l’article
En 1841, la toute jeune Revue générale de l’architecture (RGA) — fondée en 1840, elle a juste un an — innove par rapport au tome précédent en publiant quelques planches « archéologiques » dont trois de l’arc de Gaillon. L’initiative n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Il s’agit à la fois de publier un des derniers bâtiments en date de l’avant-garde architecturale et par l’effet choc d’une belle image — le dessin habilement tracé par Labrouste de débris prestigieux — d’indiquer le sens dans lequel la revue compte développer sa rubrique Histoire. Car si Daly, attentif au travail subtil de Duban, a choisi l’arc de Gaillon parmi tous les fragments intégrés à la composition de la cour de l’Ecole des Beaux-Arts, c’est, en sympathie avec l’architecte, pour célébrer le XVIe s. français et, mieux encore, sa Première Renaissance. Conséquence majeure d’une décision apparemment anodine : désormais la RGA — et derrière elle presque toutes les revues d’architecture de la seconde moitié du siècle — va donner de façon quasi permanente une place prépondérante au XVIe s.
Marc Saboya a très bien analysé cet apparent paradoxe : une publication d’un type neuf, créée pour diffuser l’actualité de la construction contemporaine, qui consacre un pourcentage appréciable de pages imprimées et de coûteuses planches gravées à des édifices du passé. Son étude roborative poussait à élargir l’enquête. Car l’intérêt de l’affaire varie selon que cette politique est propre à la RGA ou partagée par les autres titres nationaux ou régionaux parus simultanément ou successivement de 1850 à 1900 : le Moniteur des architectes (MA) depuis 1847, l’Encyclopédie d’architecture (EA) depuis 1851, la Gazette des architectes et du bâtiment (GAB) depuis 1863, la Construction lyonnaise depuis 1874, la Construction moderne (CM) depuis 1885, l’Architecture depuis 1888, pour ne parler que des principaux. Si le mouvement était unanime, on tiendrait peut-être là un indicateur de choix pour suivre pas à pas les avatars de l’union des « deux renaissances » architecturales — celle du XIXe après celle du XVIe s. — si ardemment souhaitée par beaucoup.
Le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est à la fois général et souterrain. Aucune revue ne revendique jamais la Renaissance comme un chapitre privilégié de son programme éditorial. Si à partir de 1850 les prospectus des revues proclament toujours l’histoire comme une nécessité, tant il est devenu capital de démontrer qu’une bonne pratique de l’architecture contemporaine suppose une familiarité renouvelée avec le passé, on se garde cependant de promettre autre chose qu’une histoire universelle qui garantira des a priori doctrinaux ou des goûts du rédacteur en chef.