Les libertins. L’envers du grand siècle
Jean-Pierre Cavaillé
Jean-Pierre Cavaillé, "Les libertins. L’envers du grand siècle", Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 28-29 (2002).
Extrait de l’article
L’"Envers du Grand Siècle" est le titre d’un ouvrage bien oublié de Félix Gaiffe, publié en 1924, imposant dossier de textes commentés et présentés comme autant de pièces à conviction destinées à ruiner le mythe d’un Grand Siècle tout glorieux, vertueux et chrétien, par l’exhibition du cloaque de vices et d’ignominies dissimulé sous les pompes et les ors ; le but explicite étant de montrer que la France républicaine et bourgeoise du XXe siècle aurait bien tort de nourrir de la nostalgie et de l’admiration pour ce qui n’est en fait qu’une image fallacieuse du règne de Louis XIV. Dans cet « envers », les « libertins » figurent en bonne place, agents de corruption en un siècle corrompu. René Pintard se souvenait sans doute de Félix Gaiffe, bien qu’il concentrait son attention sur le début du siècle, lorsqu’il intitulait le premier chapitre de son ouvrage « L’envers du siècle des saints ».
Le souci de l’historiographie, qui se donne pour vocation d’étudier le « libertinage » du XVIIe siècle, peut être formulé de la manière suivante : comment faire une place aux libertins dans le « Grand Siècle » sans que, précisément, la grandeur du siècle n’en soit diminuée et son éclat terni ? La catégorie de « libertinage », avec toute la négativité dont ses promoteurs l’ont chargée, représente en effet une menace potentielle pour l’intégrité du monument, et il est intéressant de voir comment cette menace est le plus souvent conjurée avec le plus grand soin, afin que le mythe national puisse perdurer envers et contre tout.