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Nadine Akkerman, Birgit Houben (éd.) : The Politics of Female Households. Ladies in Waiting across Early Modern Europe

Caroline zum Kolk

Comment citer cette publication :
Caroline zum Kolk, "Nadine Akkerman, Birgit Houben (éd.) : The Politics of Female Households. Ladies in Waiting across Early Modern Europe", Paris, Cour de France.fr, 2014 (https://cour-de-france.fr/article2346.html). Compte rendu publié le 1er novembre 2014.

Nadine Akkerman, Birgit Houben (éd.) : The Politics of Female Households. Ladies in Waiting across Early Modern Europe, Leiden/Boston, Brill, 2014, ISBN 978-90-04-23606-6.

Les dames et demoiselles des maisons féminines sont au cœur de l’ouvrage The Politics of Female Households. Ladies-in-Waiting across Early Modern Europe. Édité par Nadine Akkermann et Birgit Houben avec une conclusion de Jeroen Duindam, le livre réunit treize études de langue anglaise qui éclairent la présence et la fonction des suites féminines à la cour des Habsbourg, des Tudor, des Stuart, des Vasa et, pour la France, dans les maisons de Catherine de Médicis, Marie Stuart et Anne d’Autriche.
Dans leur introduction, les éditrices présentent l’objectif du livre qui vise à démontrer que les femmes des suites d’honneur de reines et princesses jouèrent un rôle aussi actif dans la vie politique de leur temps que les courtisans masculins. Elles s’opposent ainsi à une histoire politique qui a délaissé l’étude de ces femmes sous prétexte que leur influence fut négligeable, et aux biographes de reines et princesses, qui ont attribué à ces femmes un rôle secondaire ou anecdotique, ne s’y intéressant que dans le cadre des relations personnelles qu’elles entretenaient avec leur héroïne. La méconnaissance du fonctionnement des maisons et de la cour dans son ensemble explique d’autres interprétations erronées, comme le gout pour l’anecdote et les histoires érotiques. Les commentaires d’Ivan Cloulas au sujet des dames qui accompagnaient Catherine de Médicis lors de négociations politiques fournissent un bon exemple. D’après Cloulas, Catherine aurait amené ces femmes esssentiellement pour se servir de leur pouvoir de séduction ; l’auteur passe sous silence le fait qu’une reine de France ne pouvait se déplacer sans suite d’honneur féminine.
Les éditrices insistent sur l’importance de redéfinir ce qui relève du « politique » à l’époque moderne, domaine qui ne peut être limité au champ étroit des conseils, institutions et corps d’état, tous dominés par les hommes. La recherche sur le patronage a ouvert une brèche dans ce domaine, mais des progrès restent à faire, comme le démontre une terminologie hésitante et insatisfaisante pour décrire l’impact des femmes dans l’entourage royal : des termes comme ‘influence’, ‘soft diplomacy’ ou ‘informal power’ ne rendent pas compte de la légitimité de leur engagement et des normes sociales sur lesquelles il se fonde.
Akkermann et Houben résument brièvement les difficultés auxquelles se heurtent les enquêtes sur les femmes à la cour : une documentation lacunaire, des problèmes d’identification dus aux généalogies qui ne tiennent pas compte des femmes ainsi que des témoignages de contemporains marqués par des partis pris et un discours misogyne qui se développent en parallèle à la présence accrue des femmes à la cour. Particulièrement précieux est le bilan de l’historiographie actuelle sur la question qui présente non seulement des articles et ouvrages récents, mais aussi des thèses universitaires en cours ou inédites (p. 10).

La cour de France
fait l’objet de trois articles. Una McIlvenna étudie le fameux « escadron volant » de Catherine de Médicis et analyse sa représentation contemporaine et historiographique. La suite féminine de Catherine de Médicis fait très vite l’objet d’attaques misogynes qui trouvent leur origine avant tout dans les milieux parlementaires et universitaires. Des sujets récurrents marquent ces discours : les femmes auraient déréglé la cour par leur sexualité débridée et parfois « contre nature ». Elles entretiendraient des relations extra-conjugales dont certaines transgressent les frontières sociales.
Que des poètes protégés par les femmes de la reine participent à cette production antiféministe démontre les risques du patronage artistique et littéraire féminin ; McIlvanna évoque l’exemple de Claude-Catherine de Clermont, maréchale de Retz, qui avait soutenu Etienne Pasquier, Agrippa d’Aubigné et Nicolas Rapin. Les écrits satiriques et les pamphlets ont servi de source aux historiens du XIXe et XXe siècle qui ont perpétué ainsi le mythe d’un « escadron volant » dont la reine se serait servi à des fins politiques.
Rosalind K. Marshall se tourne vers les femmes de la maison de Marie Stuart et analyse l’évolution de sa suite de 1548 à 1587. Elle éclaire l’influence de la famille de Guise sur cette maison en France, et plus particulièrement le rôle de Marie de Guise qui entretient une correspondance suivie avec Françoise d’Estamville, dame d’honneur de Marie Stuart à partir de 1551. Devenue reine, Marie Stuart est entourée de 44 femmes dont beaucoup ont servi Catherine de Médicis auparavant (l’auteur ignore que beaucoup de ces femmes continuent à servir Catherine, le service par quartier rendant possible d’être présent dans plusieurs maisons la même année). Le retour en Écosse après la mort de François II et les évènements qui mènent à l’emprisonnement de Marie Stuart en 1568 provoquent des modifications dans son entourage que Marshall retrace avec autant de précision que la documentation, très lacunaire à partir de 1561, le permet. En dehors des liens de parenté et d’amitié, c’est la confession et la nationalité des dames qui se révèlent décisives. Leur présence à la cour suscite des critiques en Écosse où émerge un discours antiféministe très proche de celui décrit par Una McIlvenna pour la France. Marshall évoque entre autres le mythe des « quatre Maries », quatre dames de Marie Stuart, qui sont entrées dans la mémoire populaire.
La suite féminine d’Anne d’Autriche fait l’objet d’un article d’Oliver Mallick. Plus que les maisons étudiées précédemment, celle de l’épouse de Louis XIII est victime d’une guerre d’influence qui mène à des fréquentes réductions et modifications de son personnel. Ce n’est qu’à partir de 1638 que les relations d’Anne d’Autriche et de Louis XIII s’apaisent et que l’entourage de la reine se stabilise. La régence ne provoque aucun bouleversement dans sa composition, mis à part une croissance du personnel administratif. Anne d’Autriche se présente comme une maîtresse exigeante qui ne tolère aucune opposition à sa politique et à son choix de Mazarin comme premier conseiller. Louis XIV respectera l’autorité de sa mère sur sa maison sa vie durant. La réduction des effectifs observée en 1664 ne déroge pas à cette règle ; elle fait partie d’une réforme qui touche l’ensemble des maisons royales. Particulièrement intéressante est l’étude de la carrière d’une dame d’honneur et gouvernante, Marie-Catherine de la Rochefoucauld, marquise de Senecy. Mallick démontre dans quelle mesure la marquise sut profiter de sa fonction à la cour pour développer un patronage dont les effets furent ressentis jusqu’en Auvergne, où les autorités locales lui vouent une fidélité sans faille en échange de la défense de leurs intérêts à la cour.

La cour des Tudor
Helen Graham-Matheson pose la question si le genre des membres de la Privy Chamber eut un impact sur le pouvoir qu’ils pouvaient exercer à la cour et démontre que les femmes de la chambre d’Élisabeth jouèrent un rôle aussi important que leurs homologues masculins sous Henri VIII. Elles agissaient comme représentantes de la reine, investies de l’autorité royale. En étant « les yeux, les oreilles et la bouche » de la reine, elles multipliaient sa présence là où Élisabeth ne pouvait pas apparaître physiquement. Leur activité les met en contact avec les acteurs majeurs de la politique intérieure et extérieure du royaume ; elles forment un contrepoids aux hommes du Conseil privé de la reine. L’étude des interventions d’Élisabeth Parr, Mary Sidney, Katherine Ashley et Dorothy Broadbelte lors des négociations pour les mariages de la reine avec l’archiduc Charles de Habsburg et Erik de Suède permet à Helen Graham-Matheson d’analyser quelques-unes des règles qui régissent cette coopération, dont une obéissance sans faille et l’interdiction de toute démarche indépendante ou contraire aux objectifs de la reine.
Hannah Leah Crummé suit la carrière d’une fille de Mary Sidney, Jane Dormer, qui grandit dans une famille catholique et épouse en 1558 l’envoyé espagnol à la cour d’Angleterre, Gómez de Figueroa, comte de Feria. Servant comme dame la reine Marie Tudor, sa situation se dégrade après la mort de sa maîtresse. Elle s’installe en Espagne et y entretient une cour d’expatriés catholiques anglais, tout en correspondant avec des familles catholiques restées en Angleterre. Jane se réconcilie avec Élisabeth Iere et devient ainsi à partir de 1571 une interlocutrice privilégiée entre les cours d’Espagne et d’Angleterre, tout en continuant à accueillir des jeunes femmes catholiques anglaises dans sa maison. C’est ainsi en Espagne que le noyau de la cour de Marie Tudor continue d’exister et de servir d’école à des jeunes femmes. Les lettres de Jane Dormer et son traité sur la manière de tenir une maison, circulent en Angleterre et y introduisent recettes, parfums, coiffures et autres usages et objets à la mode en Espagne.

La cour impériale
Katrin Keller suit l’évolution de la maison de l’impératrice du Saint-Empire germanique aux XVIe et XVIIe siècle. La fin de l’itinérance curiale provoque des amputations et des réductions de son entourage qui passe de 200 membres vers 1500 à seulement 80-90 personnes en 1619, et qui ne comporte plus de grands officiers masculins en dehors d’un grand maître d’hôtel (Oberhofmeister). Les dames de sa suite sont soit des veuves, soit des demoiselles qui quittent sa maison une fois mariées. Keller souligne que cette structure est représentative des maisons féminines des cours de l’Empire qui se différencient ainsi nettement des maisons féminines en Espagne, en Angleterre, en France et en Italie. Elle décrit les fonctions du personnel féminin et celles du grand maître et du personnel de l’empereur qui occupe une place importante dans le quotidien de cette maison. L’ordre des préséances est déterminé par le rang de l’office, l’ancienneté dans la maison ainsi que le degré de proximité avec l’impératrice ; le rang de naissance est secondaire. L’impératrice agit comme broker pour les membres de sa suite, en intercédant auprès de son époux pour obtenir des charges, faveurs et privilèges. Keller présente les options de carrière, d’alliance matrimoniale et de patronage offertes aux femmes de cette maison à travers les exemples de Maximiliana von Scherffenberg, Marie Margaretha von Rappach et Margarita von Herberstein.
Vanessa de Cruz Medina étudie le développement d’un réseau familial à travers l’exemple d’une famille aristocratique de l’Aragon qui est au service des Habsbourg d’Espagne. En 1551, Antoine de Cardona et Marie de Requesens suivent avec leur fille Marguerite le futur empereur Maximilien II et son épouse Marie d’Autriche à Vienne. Marguerite sert dans la maison de l’impératrice et épouse en 1555 Adam, baron de Dietrichstein, grand maître de Maximilien II. Ce mariage lui permet de rester à la cour et d’y poursuivre la stratégie de ses parents en plaçant ses enfants dans les cours des Habsbourg à Madrid, Bruxelles et Vienne. L’amitié que lui porte l’impératrice Marie se révèle décisive dans la gestion des carrières familiales, comme les relations avec l’Espagne que Marguerite entretient avec soin. Marie la choisit ainsi pour accompagner à Madrid sa fille Anna, qui épouse en 1570 Philippe II. Marguerite s’y installe pour quelques années avec son époux et aide à la mise en place de la maison de la nouvelle reine d’Espagne ; sa fille, Anne de Dietrichstein, l’intègre. Le puissant réseau familial des Cardona-Dietrichstein fait circuler pendant des décennies hommes et femmes, informations et objets entre différents centres du pouvoir habsbourgien. Formé au XVIe siècle, il est encore actif à la fin du XVIIe siècle, preuve de la longévité des structures du patronage familial dans le milieu curial.

Les cours des Pays Bas Espagnols et d’Espagne
Birgit Houben et Dries Raeymaekers démontrent à leur tour l’importance du patronage féminin en étudiant celui des dames d’honneur qui servirent à la cour des archiducs Albert et Isabelle à Bruxelles, de 1598 à 1633. La première des dames étudiées, Jeanne de Chassincourt, était française. Elle avait accompagné en 1559 Élisabeth de Valois en Espagne où elle servit successivement sa fille Isabelle, puis Anne d’Autriche. En 1598, Philippe III la nomme dame d’honneur d’Isabelle qui part pour Bruxelles la même année. Jeanne y meurt en 1614 en laissant une fortune estimée à 200 000 escudos. Sans enfants, elle avait obtenu des charges pour son neveu et sa nièce et avait soutenu amis et alliés, dont la famille des Arenberg. En 1615, c’est la sœur du duc d’Arenberg, Antonia-Wilhelmina, qui obtient la charge de camarera mayor de l’archiduchesse et qui veille aux intérêts de sa famille. Après la mort de l’archiduc en 1621, c’est son épouse qui prend en main le gouvernement. Très pieuse, elle réduit les apparitions publiques et adopte un style de vie quasi monacal. Les femmes de son entourage sont seules à la côtoyer et profitent de ce monopole dans leur patronage politique et familial. En 1622, Marie de Montmorency devient camarera mayor et influence plus que toute autre dame d’honneur les décisions de sa maîtresse vieillissante. Très critiqué, ce gouvernement « au féminin » s’éteint avec l’archiduchesse en 1633.
Janet Ravenscroft aborde un sujet rarement étudié : les naines et « folles » qui servent dans les maisons féminines. L’analyse de représentations picturales combinée avec celle de documents administratifs et de correspondances permet à Ravenscroft de démontrer la place privilégiée qu’occupaient ces nains et naines dans la hiérarchie curiale. Très recherchés et offerts comme présent d’une cour à l’autre, ils disposaient d’une grande liberté de comportement, circulant sans encombre entre les sphères masculines et féminines de la cour. Certaines, comme Madeleine Ruiz, qui servit d’abord Jeanne du Portugal, puis les filles de Philippe II d’Espagne, ont fait carrière comme favorites et apparaissent avec leurs maîtresses sur des portraits qui les présentent avec une dignité et gravité qui semble contraire à leur fonction. À la différence des autres courtisans, Madeleine fait preuve d’insolence à l’égard du maître de la cour : Philippe II se plaint en 1584 qu’elle ne fait jamais ce qu’il lui commande. Insolence toutefois mesurée et acceptable car lié à sa charge qu’elle exerce si bien qu’elle tisse des liens avec tous les grands de la cour. Madeleine fait un mariage avantageux et réussit de même pour sa fille. Son testament démontre sa grande fortune, autant sociale que pécuniaire. On suit volontiers l’auteur dans son regret que les nombreuses naines qui ont existé dans les cours du XVIe siècle n’aient pas fait l’objet d’études plus poussées.

La cour des Stuart
Les dames d’Anne de Danemark et leur fonction diplomatique sont au cœur de l’article de Cynthia Fry. Anne a épousé James, roi d’Écosse, en 1589. Elle se convertit au catholicisme vers 1600 et protège des coreligionnaires dans son entourage, dont Henriette Stuart, comtesse de Huntley, et Jane Drummond, comtesse de Suffolk, qui lui sert comme dame d’honneur. Lorsque James devient roi d’Angleterre en 1603, sa maison est modifiée et fait l’objet de nombreux conflits entre elle et son époux. La reine et ses dames soutiennent activement les démarches de l’Espagne pour la conclusion d’un traité de paix qui mettra un terme à dix-neuf ans de guerre. Jane Drummond fait jouer ses contacts avec Robert Cecil, fournit des informations sensibles à l’Espagne et assure la circulation de lettres entre la reine et l’ambassadeur espagnol. Cet engagement lui vaut l’honneur d’être la première femme à qui l’Espagne accorde une pension. La reine n’est pas inactive de son côté, contrairement à ce que l’historiographie a laissé entendre à son sujet. En dehors des domaines de la politique matrimoniale et du patronage, son soutien à la cause catholique s’exprime dans les masquerades, spectacles curiaux organisés par elle et ses dames. Son choix des invités (où l’ambassadeur espagnol est à l’honneur, au détriment de l’ambassadeur français) ainsi que certains éléments de la mise en scène véhiculent un message qui fut reçu au-delà des limites de la cour.
C’est un de ces spectacles, La vision des douze déesses, représenté en 1604, qu’étudie plus en avant Nadine Akkerman pour cerner davantage la structure de la maison de la reine et la place qu’y prit Lucy Harrington-Russell, comtesse de Bedford. Cette grande mécène, à qui ont été dédiés plus de cinquante ouvrages d’écrivains comme Michael Drayton, Ben Johnson ou John Donne, compose elle-même des pièces et dirige la mise en scène de plusieurs masques de la reine, dont le premier qui est joué en 1604. Les dames montent sur scène déguisées en déesses ; le rôle joué par chacune fournit des indications précieuses sur sa place dans la hiérarchie de la maison et de la faveur. Akkerman conteste que la comtesse de Bedford représenta Diane, persona qu’avait choisie Élisabeth Iere d’Angleterre ; il n’aurait pas été convenable d’endosser un rôle au passé si hautement monarchique. Bedford choisit Junon qui véhicule un message plus conforme à ses aspirations : la déesse symbolise la religion et la maison, le foyer. Elle souligne ainsi sa place privilégiée dans la maison de la reine, où elle occupe la charge de première femme de chambre (Lady of the Bedchamber).
La maison d’Anne de Danemark a été organisée sur le modèle de celle d’Élisabeth Ie, avec une Bedchamber soumise à la Privy Chamber. Sous Charles Ier et Henriette Marie, la première gagne en autonomie et déclasse la deuxième, surtout à partir de 1627 où la maison de la reine est réorganisée. Sara J. Wolfson présente l’impact de la politique étrangère sur le destin de deux dames de la reine, Lucy Percy, comtesse de Carlisle, et Madame Vantelet. Carlisle est en 1626 la dame la plus favorisée d’Henriette Marie ; sa disgrâce intervient trois ans plus tard suite au revirement politique de son mari qui, très influent à la cour, devient un adversaire à la conclusion d’un traité de paix avec la France. Cette année, le nouvel ambassadeur de France, Chateauneuf, tente de placer des femmes acquises à la cause française dans l’entourage de la reine, dont Madame de Lux de Vantelet. Les événements de la journée des Dupes troublent la communauté d’expatriées, dont la plupart doivent leur situation à Marie de Médicis. Madame de Vantelet fait alors le lien entre les adversaires de Richelieu et Marie Henriette. En 1633, la reine s’oppose avec succès aux demandes de Louis XIII de renvoyer Vantelet. Celui-ci réussit à la faire changer de camp ; à la fin des années trente, le parti fidèle à Marie de Médicis se trouve isolé. Le retour en grâce de la comtesse de Carlisle clôt l’étude, qui démontre à quel point les aléas de la politique étrangère ont un impact direct sur les nominations et le statut des femmes de la maison de la reine.

La cour de Suède
D’une création récente, la cour des Vasa, rois de Suède depuis 1523 (une « cour d’arrivistes », note Fabian Persson), comporte une Hovfruntimmer qui a laissé peu de traces documentaires avant le milieu du XVIe siècle. Leur nombre s’accroit avec celui des maisons féminines : en 1563, treize demoiselles servent les princesses Cecilia, Sophie et Élisabeth. Elles sont dirigées par trois maîtresses d’hôtel (Hovmästarinnan), dont la principale, Anna Hogenskild, profita de sa position pour mener un intense patronage familial : huit des treize demoiselles sont ses parentes. La chambre compte aussi des veuves, plus rarement des femmes mariées. Les mariages internationaux des Vasa introduisent des dames étrangères, dont on limite le nombre au XVIIe siècle. Les instructions royales relatives aux maisons féminines mettent l’accent sur leur isolement au sein de la cour et le contrôle de la communication des femmes ; les lettres qu’elles reçoivent sont lues à voix haute en leur présence. Elles sont soumises à un encadrement strict et ne disposent ni de temps libre, ni de la liberté de mouvement ; des plaisirs comme la danse et les banquets sont rares, le quotidien d’un ennui pesant. Évoluant dans un vase clos, les conflits et tensions prennent vite des proportions démesurées, surtout quand ils sont exaspérés par une maîtresse au caractère ombrageux comme la princesse Sophie ; plusieurs fois sa maison doit être reconstituée. En échange de ces désavantages, les femmes peuvent espérer un mariage avantageux, un salaire consistant, des dons de terre et de privilèges pour elles et leurs parents ainsi que le profit qui résulte du prestige social attaché à leur charge. Leur pouvoir augmente avec celui de leur maîtresse et se trouve à son apogée sous les règnes de Christine et Ulrika Eleonora au XVIIe siècle.

Comme le note Jeroën Duindam dans sa conclusion, on constate à la lecture de ces études l’existence d’une structure commune à toutes les cours : la suite féminine est composée de dames qui occupent des charges élevées, de demoiselles qui ne font qu’un séjour limité à la cour, et d’un personnel domestique subalterne. La composition et la hiérarchie de ces trois groupes de femmes varient dans le temps. De manière générale, la situation des femmes diffère peu de celle de la plupart des courtisans masculins qui étaient exclus des conseils et dans l’impossibilité d’atteindre les cercles du pouvoir et les instances de prise de décision. D’autres facteurs que le genre marquent davantage les carrières curiales : le rang de naissance, l’office occupé, les affinités politiques et religieuses ainsi que l’aptitude à gagner la faveur et à la conserver. Particulier aux femmes est le statut d’étrangère quand elles viennent à la cour à la suite d’un mariage, et l’isolement grandissant de certaines maisons féminines du reste de la cour.
La frontière entre le pouvoir informel et le pouvoir officiel est perméable ; les actes dûment enregistrés et validés sont souvent le résultat de tractations qui se sont déroulées « en coulisse ». Il n’y a dans ce fait rien de scandaleux : la défense des intérêts de la famille et de ses clients est une obligation sociale acceptée par tous. Comme le souligne Duindam à juste titre, la distinction entre une sphère publique et une sphère privée est inadaptée pour l’étude de cette société et du fonctionnement du politique à l’époque moderne.

Ajoutons deux autres observations à ces constats. Les treize enquêtes démontrent l’existence de deux systèmes curiaux distincts en Europe. Dans l’Empire et en Suède, les maisons féminines perdent à la fin du Moyen Âge leur autonomie structurelle ; ce sont les officiers des maisons du roi ou de l’empereur qui assurent une partie du service au quotidien. La maîtresse de la maison se déplace peu, l’accès à sa personne est strictement limité et surveillé. Sa suite est composée de jeunes filles célibataires et de quelques veuves qui les dirigent ; les femmes mariées sont rares. Cette configuration ne permet pas aux femmes d’entamer une carrière curiale de longue durée. Le mariage sonne le glas de leur séjour à la cour, sauf si leur mari y exerce une charge.
Les maisons féminines en Angleterre, en Espagne et en France sont davantage fournies en personnel et ont conservé la plupart des services essentiels à leur fonctionnement. Elles comptent des femmes mariées et sont ainsi propices au développement de stratégies à long terme. Ces maisons participent davantage à la vie curiale (vie politique et diplomatique, déplacements, festivités) que les maisons de leurs voisines en Europe de l’Est et du Nord.
L’existence de deux systèmes curiaux distincts à l’échelle européenne pose question. Comment expliquer leur formation et leurs caractéristiques ? Quel a été l’impact des structures sociales et familiales, de l’histoire politique et de la religion sur leur développement ? Le livre invite à poursuivre l’enquête.
Une autre question concerne les attributions des charges et des offices majeurs des maisons féminines qui présentent une ressemblance trompeuse. La camarera major espagnole n’a pas les mêmes fonctions que la dame d’honneur en France, la Obersthofmeisterin à Vienne ou la First lady of the Privy Chamber en Angleterre. Les cours européennes présentent certes une structure similaire et reconnaissable pour tous, ce qui est indispensable pour leur fonction de centre du pouvoir et de plateforme de la politique internationale. Le diable réside dans le détail : des différences parfois notables existent d’un pays à l’autre en ce qui concerne les fonctions et privilèges d’une charge. Problématique bien connue des voyageurs et diplomates d’antan, mais peu explorée par l’historiographie moderne.

L’ouvrage présente un tableau riche et détaillé de la présence féminine à la cour et démontre sans difficulté l’importance de l’impact que ces femmes eurent sur la vie politique, et ceci dans toutes ses dimensions : diplomatie, politique intérieure, patronage, politique matrimoniale, représentation - aucun secteur n’est exempt. Les facteurs qui expliquent les variations de cet impact dans le temps émergent, comme les limites et contraintes qui le modèlent. À l’évidence, l’histoire politique ne peut ignorer l’engagement de ces femmes sans aboutir à des résultats erronés ou lacunaires, et doit quitter une histoire « genrée » dont les objets d’étude sont presque exclusivement masculins. Penser le politique dans toute sa complexité, et plus en phase avec la pratique (qu’on décèle sans difficulté dans les sources), c’est l’enjeu majeur de cet ouvrage. The Politics of Female Households contribue ainsi à la redéfinition du politique qui est en cours depuis la mise en question du principe de l’absolutisme et du monopole de l’histoire institutionnelle dans ce domaine.