Note sur Jacopo Corbinelli
Jean Balsamo
Jean Balsamo, "Note sur Jacopo Corbinelli", dans Bulletin de l’Association d’études sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, année 1984, volume 19, numéro 19, p. 48-54.
Extrait de l’article
Le rôle de Corbinelli est maintenant suffisamment connu pour que l’on puisse comprendre à travers lui les enjeux de l’italianisme dans l’entourage de Henri III. Cette attention portée aux aspects les plus originaux de la culture italienne et plus précisément florentine, n’est ni la manifestation excessive d’un esprit de cour superficiel, ni l’admiration passive de modèles transalpins importés parmi bien d’autres défauts par des immigrés en quête de faveur, selon l’image caricaturale qu’en a donnée Estienne. Dans ces années de guerre civile et de crise intellectuelle, certains concepts italiens en revanche apparaissent singulièrement pertinents pour éclairer par analogie, sinon pour la résoudre, une situation que la culture française ne parvient pas à maîtriser. C’est dans cette perspective sans doute qu’il faut comprendre l’intense travail de traduction, de publication, d’adaptation de tout un corpus d’ œuvres italiennes, dont l’introduction en France dans les années 1574-1588 correspondait bien à un besoin réel et urgent, la restauration de l’autorité monarchique. Corbinelli apporta à ce débat une contribution qui n’a pas été sans importance, en éditant trois ouvrages, très divers d’apparence, mais qui sont comme autant de variations sur un même sujet. En 1576, il publie les Consigli et Awertimenti in materia di Republica de Guichardin, qu’il dédie à Catherine de Médicis. Cet ouvrage, dont le manuscrit fut communiqué par l’abbé Pietro Del Bene, amplifie dans un sens bien particulier la leçon de l’historien florentin, bien diffusée en France par la traduction que Chomedey avait donnée de l’Histoire d’Italie quelques années auparavant. Il correspond en effet à un retour « incognito » de la pensée de Machiavel, rejetée depuis la Saint-Barthélémy comme théorie de la tyrannie, pensée dénaturée et falsifiée à des fins polémiques en particulier par Gentillet, et qui restait pourtant d’une telle importance. Une tradition, fondée sur un passage de Davila, nous représente Corbinelli commentant les œuvres du secrétaire florentin à Henri III. Il faut nuancer cette image d’un schématisme excessif, en nous demandant quelles étaient les raisons d’une telle lecture, et ses moyens. Il nous reste un témoignage autrement précieux, celui des Discorsi dans l’exemplaire même que Corbinelli ne cessa d’annoter jusqu’à sa mort : la référence qu’il fait aux événements contemporains nous le montre attentif à déchiffrer dans le texte de Machiavel les mécanismes de la sédition, celle de la ligue, celle des Huguenots, également ennemis du pouvoir royal et de l’Etat ; lecture amère et désabusée, lecture tacitéenne que Giulio Procacci a finement analysée. En 1577, toujours grâce à Del Bene. Corbinelli peut donner son édition du De Vulgari Eloquentia de Dante : ce texte est certes une pièce maîtresse à l’intérieur d’un débet italien sur la langue, mais il est surtout l’apologie, à usage expressément français, de la langue royale et de ses pouvoirs. En 1578 surtout, il édite le De principatu de Mario Salamonio degli Alberteschi. Il dédie ce court traité en forme de dialogue, publié par un familier de Léon X, au surintendant des finances, Pomponne de Bellièvre, à peine revenu d’une périlleuse mission auprès de Condé et des reîtres. Corbinelli, dans les pages liminaires, rappelle l’importance de l’ouvrage, une réflexion sur le juste pouvoir, mais surtout il définit son propre rôle d’intellectuel, qui est de donner à une élite entièrement dévouée au bien public, (ceux-là mêmes qui deviendront les Politiques), un ensemble de références fondées sur des textes restitués dans leur pureté philologique, donc doctrinale.