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Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier : Mémoires

Pascale Mormiche

Pascale Mormiche, "Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier : Mémoires", Paris, Cour de France.fr, 2024. Compte rendu publié le 23 février 2024 (https://cour-de-france.fr/article6919.html).

Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, Mémoires, tomes I et II, édition critique de Jean Garapon, Honoré Champion, Paris, 2020.

C’est à la publication d’une œuvre fondamentale que s’est attelé le Professeur Jean Garapon, la publication des Mémoires de la princesse de Montpensier. On ne présente plus l’importance des travaux littéraires auxquels il s’est livré depuis plus de trente ans et qui font suite à sa thèse sur la « Grande Mademoiselle mémorialiste » en 1989.
Ces mémoires, exploitées par tous les historiens et littérateurs du Grand siècle, n’avaient pas donné lieu à une publication ni à une étude exhaustive. Jean Garapon rétablit la filiation des manuscrits, insistant sur les éditions incomplètes, tronquées qui sont encore trop souvent des instruments de travail, d’abord de Petitot et Momerqué de 1824, puis une dizaine d’années plus tard de Michaud et Poujoulat jusqu’au travail d’Alphonse Cheruel entre 1858 et 1860 en quatre tomes chez Charpentier. Jean Garapon donne à lire pour la première fois les 82 premiers feuillets authentiques qui avaient disparu du manuscrit autographe. Il relève ensuite 144 variantes entre les deux textes, l’original imprimé et le manuscrit conservé à la Bristish Library. C’est donc un texte remanié, exact, dans sa formulation originelle qui est donné à lire.

« J’écrivais en peu de temps depuis le commencement jusqu’à l’affaire de l’Hôtel de ville »

Dès l’introduction de son ouvrage, Jean Garapon entraîne son lecteur dans ce paradoxe entre la notoriété historique de la princesse, sa présence dynastique (elle est Petite-Fille de France) et ce que toute femme du XVIIe siècle déclare quel que soit son rang, elle « ne veut pas faire auteur ». Ce refus de reconnaissance par l’écriture, ce refus assumé de littérature donne malgré tout deux tomes de mémoires d’une richesse exceptionnelle tant sur le plan littéraire que sur le plan historique et leur publication fait désormais date.
En termes d’analyse littéraire, Jean Garapon replace ces mémoires dans ce qu’on peut appeler une œuvre plus vaste qui commence dans l’exil de Saint-Fargeau vers 1653 et se termine avec des Réflexions morales et chrétiennes méconnues de la fin de la vie de la Grande Mademoiselle. Il saisit toute l’évolution stylistique, littéraire et spirituelle d’une femme qui, finalement, a consacré une large partie de sa vie à l’écriture, bien qu’elle s’en défende. Les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, inclues dans ce large ensemble, s’inscrivent dans la mode littéraire du début du règne de Louis XIV, associé à une « conscience princière intraitable, un esprit d’enfance romanesque qui refuse de s’assagir et à une liberté de temps qui ne cède à aucune grandeur […] une conscience princière qui découvre ses pouvoirs dans l’écriture au moment où elle fait la découverte de son rôle politique » (page 11), une princesse qui s’est libérée par la Fronde. Jean Garapon témoigne de l’esprit de résistance que la princesse exprime de la manière la plus sûre, par l’écriture. Les Mémoires qui, en général, regroupent une somme d’expériences, avant d’être une justification voire un témoignage historique, vont souvent de pair avec un caractère testamentaire. Or chez Mademoiselle, ces Mémoires, travaillées constamment tout au long de sa vie, de manière tout à fait irrégulière, ont pour finalité première, l’écriture personnelle puisqu’elles ne sont pas destinées à être éditées. L’auteur lance l’hypothèse d’une lecture à des pairs au début de l’ouvrage puis exprime finalement que la motivation profonde de la princesse est le plaisir d’écrire sur soi (page 17). Sur le plan littéraire, il s’interroge sur la faculté de la mémoire de la princesse caractérisée par une « facilité de mobilisation du souvenir, une fécondité de la sensibilité, une mémoire que les littéraires appellent mémoire de cœur », limitant le travail des archives et les apports extérieurs. Cependant, certaines descriptions notamment de lieux ou d’événements au début des Mémoires dépassent, semble-t-il, de beaucoup le simple souvenir tant la précision et la concision sont travaillées. Après s’être interrogé avec une grande érudition sur une typologie de ces Mémoires, Jean Garapon classe ce texte comme étant une première esquisse d’un genre en devenir. Il refuse par conséquent d’avancer la date soi-disant affectée par des littéraires à Jean-Jacques Rousseau (Confessions) alors qu’il a sous les yeux et vient de le démontrer, un écrit véritable autobiographique, une recherche de soi par l’écriture. Il exprime clairement les inspirations littéraires dans l’entourage de la princesse mais se retient, ce qui nous étonne, de lui affecter ce rôle fondateur du genre soi-disant parce qu’en 1653, la princesse ne pensait guère à une introspection lors de ses premières lignes d’écriture. Réintroduire notamment les Mémoires de la reine Marguerite de Valois, première épouse de Henri IV et marraine de Gaston, père de Mademoiselle, aurait inscrit cette dernière dans une tradition lignagère de princesses écrivaines et aurait sans doute été une piste féconde à poursuivre.
Jean Garapon fait également appel à un supposé « féminisme » de Mlle de Montpensier, au moment de ses expéditions militaires de la Fronde, là où tout simplement une étude sociale permettrait de dire qu’elle joue son rôle de seigneur.e, homme ou femme, dirigeant une armée, imposant sa compétence militaire, rendant la justice, rétablissant la paix, graciant des prisonniers et enfin reconnue par le peuple. En aucun cas, il ne s’agit de féminisme martial de Mademoiselle dont Jean Garapon estime qu’il n’y a d’ailleurs pas eu de précédent dans l’histoire récente de la monarchie (page 53) oubliant les exemples traités dans l’ouvrage sur les Frondeuses (2017) ou sur la puissance des reines. Il la cantonne dans un rôle de lectrice de romans et d’éloges féminins, spectatrice enthousiaste de Corneille « qui prend date pour l’avenir », inscrivant le féminisme dans un mouvement qui débuterait sans doute au XIXe siècle pour se développer au XXe siècle. Il semble difficilement compréhensible que Jean Garapon n’ait pas inclus ses réflexions dans les grands mouvements chronologiques largement décrits par Éliane Viennot dont l’ouvrage est pourtant cité dans la bibliographie. Point besoin d’évoquer un féminisme éventuel qui adviendrait dans un avenir plus ou moins lointain, puisque les historiens et les historiennes ont déjà souligné à l’envi la liberté des femmes aux XVe, XVIe et dans la première partie du XVIIe siècle.
En ce qui concerne le rôle de la princesse à la cour, Jean Garapon estime que « de toutes les princesses royales de son temps, Mademoiselle devait être la seule à maintenir, contre la volonté du souverain, le principe de résidences multiples loin de la cour, alternant avec de fréquents séjours versaillais. Le féminisme chez elle passe à l’heure de triomphe du Roi-Soleil, par la résistance à Versailles et à ses mondanités contraintes » (page 54). Cette conception du régime politique qu’est l’absolutisme résiste mal à des études menées sur « régner ou gouverner » au travers des cabinets ministériels ou sur l’application en province de la politique royale. Cette idée résiste également mal à l’étude des résidences royales multiples, aux nombreux déplacements royaux que la cour ne suit pas toujours et aux cours périphériques de l’aristocratie, autant d’usages différenciés dont use Mlle de Montpensier qui fréquente peu Versailles après 1682, dans les dix dernières années de sa vie.
Par ailleurs, Jean Garapon apprécie la culture de Mademoiselle comme étant une culture d’imprégnation acquise à la cour et dans les salons en l’absence quasi totale de formation livresque, ce dont il est permis de douter. Selon lui et à la lecture cursive de ses Mémoires, elle n’aurait appris ni latin, ni langue étrangère, ni histoire, ni orthographe, ni mathématiques du temps de son éducation. Jean Garapon lui affecte comme gouvernante Madame de Montglat alors qu’il s’agit de Mlle de Montglat, plus connue sous le nom de Mme de Saint-Georges, effectivement fille de la gouvernante de Louis XIII et de Gaston. Mme de Saint-Georges a accompagné en Angleterre la reine Henriette, sœur de Louis XIII, puis la petite sœur de Mlle de Montpensier en Toscane, et a surveillé les précepteurs et leur a fait acquérir à la perfection les langues, les modalités de la cour et du savoir-vivre. Or dans la hiérarchie à la cour, ce n’est rien moins qu’une éducation royale dès le plus jeune âge qui a été confiée à Mme de Saint-Georges. Ainsi on aurait aimé en savoir plus sur l’éducation de ces jeunes princesses sous l’influence d’un Gaston érudit, souvent absent, mais toujours attentif à la destinée de ses filles. Il est vrai qu’on aurait aimé avoir des détails sur les livres d’éducation d’une éventuelle bibliothèque comme ceux qui ressurgissent actuellement au gré des expositions et ventes, issus de l’éducation de Gaston enfant, livres magnifiquement illustrés témoignant d’une pédagogie inventive et inversée.
L’ouvrage comporte dans le second tome un certain nombre d’annexes largement enrichies par rapport à Chéruel : Index de noms propres, Index de lieux et un utile glossaire. En ce qui concerne l’Index des noms propres, si un certain nombre de titres nobiliaires sont donnés ainsi que des fonctions dans les Maisons royales, pour des personnages masculins et féminins de l’entourage princier, il semble cependant qu’il en manque de nombreuses qui se trouvent dans les ouvrages pourtant cités en bibliographie. Ces fonctions auraient aidé à caractériser avec plus de précision l’entourage domestique et par conséquent le contexte de cette cour périphérique que Jean Garapon suggère.

Pour finir, on relèvera une habitude qui gêne les historiens, celle de parler des personnages historiques en conjuguant au futur. On s’étonnera également, connaissant la qualité des éditions Champion, d’un certain nombre de parenthèses singulières, de l’ordre parfois de trois à quatre par page, qui ornent encore sans raison l’Index des noms propres, témoignant d’une relecture un peu trop rapide. À l’usage des lecteurs, on signalera que la Princesse Palatine est un titre princier étranger et qu’il faudrait mieux parler de Madame Palatine et que l’un des fils décédé d’Henri IV n’a jamais été nommé et que le N. n’indique en aucun cas un prénom. Ces broutilles habituelles permettent de conclure un compte-rendu.
Le professeur Jean Garapon donne un texte accessible, fidèle, avec de nombreuses références, assorti de la somme de ses réflexions littéraires sur Mademoiselle. Il fallait du courage et de la persévérance pour venir à bout de l’écriture manuscrite difficile de Mademoiselle et des différentes versions de ce texte. Jean Garapon polit l’image d’une princesse qui a voulu laisser « une mythologie personnelle empruntée au roman qui fait d’elle à la fois une princesse comblée, persécutée, privée de bonheur conjugal » (page 31), grâce à une magnifique construction littéraire au destin privilégié.