Engendrer l’État. Formation familiale et construction de l’État dans la France du début de l’époque moderne
Annie Collovald, Bastien François, Sarah Hanley
Annie Collovald, Bastien François, Sarah Hanley. Engendrer l’État. Formation familiale et construction de l’État dans la France du début de l’époque moderne, Politix. Revue des sciences sociales du politique, 1995, n° 32, p. 45-65.
Extrait de l’article
DANS L’ARRIERE-BOUTIQUE de l’esprit où nous conviait Montaigne, les historiens rêvent de changer d’habitat, de délaisser leurs archives et d’adopter une posture ethnographique. D’emblée, cette visée signifie pour eux de modifier les formes de l’enquête : l’ordinaire contre l’exotique, le traditionnel contre le contemporain, la vie savante penchée sur les papiers des morts contre celle partagée avec les vivants. Au vrai, pourtant, l’historien-à-visée-ethnographique n’échappe pas à l’exotique, mais bien plutôt au dilemme épistémologique attaché aux recherches circonscrites par le temps passé, aux espaces non cartographiés, aux documents parcellaires. Parfois, c’est le type de recherche lui-même qui peut contrarier l’investigation historique. Les séries de recherches répétitives — la compilation de faits qui ne font, pour l’essentiel, que corroborer le déjà connu — sont dangereuses. En revanche, les recherches qui s’attachent à la diversité — l’investigation de couches de faits contradictoires — peuvent être fructueuses. Il y a des espaces laissés inexplorés par les recherches qui se résignent à l’obscurité irrévocable des textes. Mais ces espaces peuvent être balisés par un autre type de recherche qui s’efforce de lire les phénomènes encodés, comme, par exemple, la rhétorique des « genres », de la différence et des relations entre sexes, les modèles symboliques et les rituels, les notions d’honneur et de honte. Les historiens se sont toujours intéressés au pouvoir des droits ; aujourd’hui nous intéressons aux rites du pouvoir.