Le lobby Colbert : un royaume ou une affaire de famille ?
Daniel Dessert, Jean-Louis Journet
Daniel Dessert, Jean- Louis Journet. Le lobby Colbert : un royaume ou une affaire de famille ?, Annales, 1975, n° 6, p. 1303-1336.
Extrait de l’article
Alors que rien ne le laissait prévoir, l’année 1661 marque un tournant décisif dans les destinées du royaume. Brusquement les événements s’accélèrent : dès le début de l’année, le Cardinal Ministre a dû quitter pour toujours et bien à regret ses chers trésors, restituant les affaires du royaume à un jeune homme que l’on croyait peu enclin à s’en soucier. Année bien sévère en vérité, et si Dieu a rétabli la hiérarchie normale des choses, le ciel fait encore sentir son courroux : famines et maladies pour le bon peuple, déchéance pour un trop ambitieux et fastueux surintendant, angoisses et ruine pour de trop gloutons mangeurs d’or, férule d’un nouveau maître pour des élites jalouses de son trop jeune pouvoir.
Mais c’est également le temps de l’ascension, aussi irrésistible que discrète, d’un personnage jusque-là peu connu, rompu aux affaires loin de la curiosité publique. Quoi de plus étonnant que l’élévation de cet ancien domestique du défunt cardinal, apparemment homme isolé ? Faut-il donc invoquer Dame Fortune pour expliquer la belle réussite de Jean-Baptiste Colbert ? La rapidité et l’ampleur de son action, le vaste programme très tôt défini dans le cadre duquel elle s’inscrit sont fort singuliers et posent problème. Comment rendre compte du « phénomène Colbert » au travers de cette apparition ex nihilo d’un théoricien éclairé, touche-à-tout de génie célébré par certains ?