Culture philogyne, culture misogyne: un conflit de classe au coeur de la construction de l’État moderne
Eliane Viennot
Viennot, Eliane, «Culture philogyne, culture misogyne: un conflit de classe au coeur de la construction de l’État moderne», dans G. Sellier et E.Viennot (dir.), Culture de masse, culture d’élite et différence des sexes, Paris, L’Harmattan, 2004.
Extrait de l’article
Le thème de la nocivité des romans pour l’éducation féminine est loin d’être nouveau au moment où Flaubert s’en empare. Pourtant, le romancier fait autre chose que ses prédécesseurs. Là où il se disait depuis des lustres que les romans corrompent les filles – c’est-a-dire les déniaisent au lieu de laisser ce soin à leur mari, voire leur apprennent à se moquer de lui –, Flaubert affirme qu’ils peuvent les rendre folles, les transformer en meurtrières, les mener elles-mêmes à la mort. Pour faire cette démonstration, il quitte la scène urbaine et les milieux aisés où l’on avait pris l’habitude de dénoncer ce péril : il situe son intrigue dans une province profonde, et met dans les seules mains d’une fille de gros fermier les lectures vénéneuses. Le venin même est différent : ce ne sont plus les aventures sentimentales volontiers scabreuses dont s’étaient repus les XVIIe et XVIIIe siècles qui sont incriminées, mais des formes abâtardies de la littérature courtoise et de l’histoire des grands personnages. Ce sont elles qui ont nourri l’imaginaire d’Emma, l’ensemble s’amoncelant dans son esprit confus et immature, comme le soulignent dans cet extrait les champs lexicaux du rêve, de l’imprécision et de l’obscurité, le désordre des références, leur rattachement à des objets domestiques…
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