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É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse, B. Schnerb (dir.) : Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Age et au cours de la première Renaissance

Caroline zum Kolk

Comment citer cette publication :
Caroline zum Kolk, "É. Bousmar, J. Dumont, A. Marchandisse, B. Schnerb (dir.) : Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Age et au cours de la première Renaissance", Paris, Cour de France.fr, 2013 (https://cour-de-france.fr/article2781.html). Compte rendu publié le 1er juin 2013.

Eric Bousmar, Jonathan Dumont, Alain Marchandisse, Bertrand Schnerb (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Age et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, de boeck (« Bibliothèque du Moyen Age », 28), 2012. ISBN 2804165531, 45 €.

En février 2006 eut lieu à Bruxelles et à Liège un colloque consacré aux femmes de pouvoir à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance . Les actes de colloque présentent sur plus de 640 pages 31 « études de cas » de l’exercice du pouvoir par une femme ; ils concernent avant tout les femmes aristocratiques et royales gouvernant en France (16) et dans la région Flandre/Bourgogne/Pays-Bas (11) ; moins nombreux sont les exemples qui traitent de l’Espagne, de l’Italie, de l’Empire et de l’Angleterre (2 études pour chaque pays). Le livre est organisé en cinq parties qui sont (avec respectivement 10, 2, 14, 2 et 5 articles) de taille inégale.

Les auteurs ne sont pas tous spécialistes de l’histoire des femmes ou du genre, et font par conséquent un usage très divergent des apports et de la méthodologie de ces courants de recherche. Dans la première partie, consacrée aux « Pouvoirs de reines et de régentes », c’est l’étude de M. A. Ladero Quesada sur Isabelle de Castille qui est la première à aborder explicitement des sujets propres à l’histoire des femmes. L’auteur examine la représentation de la reine, les qualités religieuses et morales qu’on attend d’elle ainsi que les domaines d’intervention qu’Isabelle investit et ceux qui ne lui ont pas été accessibles.
J. M. Cauchies se tourne vers la troisième fille du couple, Jeanne d’Aragon-Castille, et analyse le problème de sa folie, réelle ou présumée, et l’usage qu’en firent son père, son mari et son fils dans la course à son (colossal) héritage.
Amalie Föβel a choisi d’étudier le déclin du pouvoir des reines et impératrices de l’Empire germanique entre le Xe et le XIVe siècle. Son étude démontre l’intérêt de sortir du cadre biographique pour observer le contexte historique et politique, car si, à partir du XIe siècle, la reine disparaît des documents en tant que consors regni, n’exerce plus la régence et signe moins d’actes en commun avec son mari qu’auparavant, un déclin similaire s’observe du côté du souverain qui cède à la même époque une partie de ses prérogatives aux mains des princes électeurs. À la place de déclin, Föβel préfère par ailleurs le terme de réajustement, car les reines interviennent maintenant davantage dans la gestion des terres royales et renforcent leur activité dans le domaine dynastique (organisation de mariages, entretien et élargissement des réseaux, négociations…). Ce texte, un des plus percutants du livre, n’a malheureusement pas été traduit de l’anglais vers le français.
Tracy Adams retrace brièvement l’histoire des régences féminines en France et expose ensuite les dispositions concernant la place d’Isabeau de Bavière dans le conseil de régence. Leur évolution démontre l’importance croissante de la reine, ce qui traduit d’après l’auteur la volonté de Charles VI de contrecarrer le jeu des différentes factions.
Helen E. Maurer présente les différents domaines d’intervention de Marguerite d’Anjou, reine d’Angleterre à partir de 1445, et la manière dont le genre influençait la marge de manœuvre de la reine dans un pays qui ne connaissait pas de loi salique. Jamais formellement acquis, son pouvoir restait d’après l’auteur « dans un besoin constant d’être renégocié et réaffirmé » (p. 127).

Les quatorze études de la troisième partie, consacrées aux comtesses et duchesses (« Femmes politiques et principautés territoriales »), présentent une autre image. Ici apparait nettement le décalage entre un discours misogyne et réducteur, véhiculé par des textes juridiques, religieux et historiques et la réalité historique.
Nombreuses ont été les épouses et les veuves qui ont gouverné un territoire, et dont l’autorité a été acceptée par leurs sujets et leurs interlocuteurs. S’il y eut contestation, elle venait généralement du côté des fils ou d’autres parents mâles qui souhaitaient accaparer le pouvoir ; c’est ce que vivait Elisabeth Candavène, comtesse de Saint-Pol (étudiée par Jean-François Nieux), Marguerite d’Avesnes, épouse de l’empereur Louis IV de Bavière (présentée par Monique Maillard-Luypart) et Jacqueline de Bavière, figure emblématique de l’histoire des Pays-Bas. Sa vie et son historiographie sont analysées par Éric Bousmar qui en dégage les problématiques relatives au genre qui ont marqué les rapports conjugaux, les relations familiales et l’exercice du pouvoir. Exemplaire sur le plan méthodologique, cet article présente entre autres points d’intérêt le cas rare d’une femme qui prend l’initiative d’un divorce : Jacqueline de Bavière se sépare de son deuxième époux puisque celui-ci ne défendait pas ses intérêts et se montrait irrespectueux envers elle et les membres de son hôtel. Il s’avère que de tous ses parents, seule sa mère fut une alliée sincère et durable.
Ce cas extrême ne doit pas faire oublier que les conflits conjugaux n’étaient pas la règle. Les auteurs apportent de nombreux exemples pour une collaboration paisible et efficace des époux dans la gestion des biens et intérêts familiaux. Michel Margue met en garde contre une trop grande focalisation de la recherche sur les régences et le veuvage qui fait oublier que les épouses ont détenu un pouvoir aussi du vivant de leur mari. Il présente les exemples de quatre épouses de la famille de Luxembourg et confirme par ailleurs les observations d’Amalie Fößel au sujet des reines de l’Empire, à savoir l’implication accrue des femmes dans la gestion territoriale et dynastique au XIVe siècle. Un autre bel exemple pour la bonne entente qui pouvait régner au sein du couple et la collaboration étroite qui en résultait est fourni par Thérèse de Hemptinne dont le sujet d’étude, Marguerite de Male, héritière du comte de Flandre, épouse en 1369 Philippe de Bourgogne, le frère de Charles V. Son cas témoigne d’une tradition bourguignonne qui veut que les épouses du duc de Bourgogne gouvernent une partie des nombreux territoires du duché (et non les moindres) en disposant des pleins pouvoirs. Alain Marchandisse démontre que Marguerite de Bavière, l’épouse de Jean sans Peur, n’y fait pas exception quand elle assure le gouvernement des principautés méridionales ; elle trouve ainsi sa place à côté de Marguerite de Male et d’Isabelle de Portugal dont l’activité gouvernementale est mieux connue.
Certains articles démontrent que l’exercice du pouvoir par une femme ne présente aucune originalité en ce qui concerne les prérogatives, les objectifs et les moyens employés qui étaient en tout conformes aux normes de l’époque. Laurence Delobette souligne ainsi qu’Héloïse de Joinville, vicomtesse de Vésoul et régente pour son fils, n’a rencontré aucune difficulté particulière dans l’exercice de ses fonctions qui couvraient tous les domaines d’intervention du pouvoir seigneurial. Bernard Delmaire fait le même constat concernant le gouvernement de Mahaut, comtesse d’Artois et de Bourgogne, dans la région artésienne et Sévérine Mayère tire les mêmes conclusions pour Anne Dauphine, qui a gouverné le duché de Bourbon dans une époque trouble, mais réussit à le conserver grâce à une politique de neutralité prudente et une importante activité diplomatique. Michael Jones dégage le cas de Marguerite de Clisson, comtesse de Penthièvre, d’une historiographie très hostile et démontre que Marguerite répond aux exigences et normes de son époque quand elle défend son héritage familial et les intérêts de ses fils. La violence et la guerre ne sont pas des terrains interdits aux femmes ; plusieurs des dames étudiées ont mené la guerre avec vigueur, soit en déléguant le commandement, soit en prenant la tête de leurs troupes personnellement, comme le firent Jacqueline de Bavière et sa mère Marguerite de Bourgogne en 1417.
D’autres articles abordent le sujet de la place des femmes dans la représentation et les stratégies de communication. Elle est au cœur de l’étude de Michelle Bubenicek qui présente les différents ressorts dont se servit Yolande de Flandre pour exprimer son rang ; l’ensemble témoigne de sa volonté de contrôler la communication relative à son personnage. Sur un autre plan se situe l’étude d’Anne-Cécile Gilbert qui démontre que Marguerite de Bourgogne, fille de Jean sans Peur et de Marguerite de Bavière, tient un rôle central dans la communication royale sous Charles VII. En tant que veuve du dauphin Louis et épouse du comte de Richemont, elle servit d’intermédiaire entre les Valois et les Bourguignons et devient le symbole vivant de la paix conclue entre les deux familles quand elle s’installe à la demande du roi et en tant que sa représentante, à Paris en 1436.

La quatrième partie, « Église et pouvoir féminin », comporte deux articles. Avec Jeanne de France et Marguerite de Lorraine, étudiées par Philippe Annaert, apparaissent deux femmes qui ont mis leur fortune et leur pouvoir au service de l’Église. Leur engagement ne se limitait pas à la fondation de congrégations et d’établissements religieux, ni au soutien de la réforme monastique ; elles ont adopté un style de vie monacal peu conforme aux normes de leur milieu.
Le pouvoir des abbesses de l’ordre de Citeaux est au cœur de la contribution de M.-E. Henneau. Après avoir retracé brièvement le développement des monastères féminins de l’ordre, l’auteur présente les domaines d’intervention des abbesses et les multiples supérieurs et interlocuteurs avec lesquels elles durent composer. Les difficultés ne venaient pas seulement du côté des supérieurs ; au plus bas de l’échelle se situaient les moniales qui pouvaient mettre en échec un abbatiat par un refus d’obédience ou une résistance passive.

La dernière partie traite du mécénat et des arts mis au service du pouvoir. Anne-Marie Legaré présente différentes facettes de la politique artistique de Jeanne de Laval dont les nombreuses commandes (orfèvrerie, livres, bijoux…) servirent à des fins politiques : par ses dons, cadeaux et récompenses, Jeanne entretient la bonne volonté des subordonnés et alliés, resserre les liens avec ses parents et la famille royale ainsi que les puissants à la cour de France. La figure souvent caricaturale de la « reine dépensière » prend ici un sens nouveau, autant politique que symbolique, car lié à un partage des rôles au sein du couple royal : au roi la justice et la guerre, à la reine le pardon et la distribution des récompenses.
Dagmar Eichberger présente le mécénat artistique et architectural de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, et la portée politique des œuvres par elle commandées. Les emprunts stylistiques, les sujets représentés et l’iconographie ont pour thème central les familles d’origine de Marguerite, Habsbourg et Bourgogne. Son dernier mari, le duc de Savoie, n’apparait qu’anecdotiquement dans ce discours, son rang, très inférieur à celui de son épouse, ne méritait pas un développement particulier. Cette observation éclaire un aspect peu étudié des mariages princiers marqués d’un décalage important entre le rang de naissance de l’épouse et le rang du mari.
Gennaro Toscano évoque ensuite le rôle d’Isabella Chiaromonte dans la canonisation de Vincent Ferrier et la commande du premier rétable dédié à ce saint par la reine de Naples. Le rôle des femmes en tant que médiatrices et « faiseuses de paix » apparaît en force dans les chroniques de Froissart. Leurs intercessions, animées de gestes et de discours qui soulignent leur soumission et humilité extrême, rappellent les règles comportementales promues par les « miroirs des princesses ». Les exemples de leurs interventions sont nombreux, surtout quand les liens de famille les appellent au premier plan des échanges diplomatiques.
M. T. Guerra Medici, spécialiste du droit des femmes pendant le Moyen Âge et l’époque moderne, clôt cette partie avec une réflexion sur le statut des femmes axée sur quatre sujets : le droit et le pouvoir féminin, la question de la succession des filles et la collaboration conjugale. Elle démontre que le droit prend en compte la possibilité d’un pouvoir exercé par une femme de la noblesse et par les abbesses. La succession des filles est admise dans la plupart des pays européens à partir du Xe siècle, même si des différences régionales existent. Concernant la collaboration conjugale, Guerra Medici considère qu’elle a été traditionnellement étroite, mais que les femmes des familles royales pouvaient rencontrer davantage de difficultés que les nobles pour l’obtention de leur douaire. La régence apparait dans la partie consacrée au pouvoir maternel. Ici l’auteur ne suit pas R. Gibbons qui explique la multiplication des régences féminines par l’adoption de la loi salique ; Guerra Medici y voit plutôt l’expression d’une « conception d’enracinement ‘familial’ et patrimonial des royaumes » (p. 628), hypothèse d’autant plus convaincante que les régences de femmes ne se multiplient pas seulement en France, mais aussi dans d’autres royaumes.

Colette Beaune dégage dans sa conclusion ce que les différentes contributions ont apporté pour la connaissance des structures, usages et normes qui encadrent l’exercice du pouvoir par les femmes au Moyen Âge et à la Renaissance. Elle répond ainsi au vœu des organisateurs du colloque qui ont souhaité interroger « dans une perspective comparatiste […] les structures et les mécanismes politiques » (p. 5).

Un compte rendu ne serait pas complet s’il ne pointait pas les faiblesses d’un ouvrage. Deux points peuvent être notés à ce sujet. Le premier relève de l’organisation du livre qui présente quelques incohérences ; l’absence d’un index est également regrettable.
Le deuxième point concerne un certain nombre d’études de la première et de la deuxième partie dont quelques unes traitent de sujets dont l’intérêt pour la thématique du livre est discutable ; d’autres font l’impasse sur les apports, la bibliographie et la méthodologie de l’histoire du genre et des femmes ; leur argumentaire et leurs conclusions peuvent poser problème.

Fort heureusement, ces faiblesses ne concernent qu’une minorité des articles de ce livre qui, riche en faits nouveaux et stimulant, fournit de précieuses pistes pour les recherches à venir.

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