Les éléments pour une histoire de la gallophobie italienne à la Renaissance : Pie II et la nation françaisele
Patrick Gilli
Gilli, Patrick, "Les éléments pour une histoire de la gallophobie italienne à la Renaissance : Pie II et la nation française", dans Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes, t. 106, n° 1, 1994, p. 275-311.
Extrait de l’article
« Quis non putasset his officiis rigorem tuum, , molles-cere debuisse ? »
C’est par ces propos que le jeune roi de France, Louis XI, aurait écrit au pape Pie II (et que ce dernier se plaît à reporter dans ses Commentaires) que se dévoilent non seulement les sentiments peu amènes du pape à l’égard des Français, mais aussi la conscience que ces derniers, notamment le roi et ses conseillers, en avaient. Le présent article cherchera à établir quelle est l’ampleur de ce rigor adversus francorum sanguinem dans la pensée d’Enéas Silvio Piccolomini, devenu pape sous le nom de Pie II et, autant que possible, quels en sont les motifs.
Dans l’ample production piccolominienne, les Commentaires rédigés en 1462-1463 représentent pour notre propos la source la plus riche, mais non la seule, puisque très tôt Enéas Silvio Piccolomini a été confronté à la réalité française et que dès les premières œuvres s’affirment des prises de position à l’égard de la France qui, tout en s’amplifiant au fil de sa carrière, forment comme le noyau de ses idées. À dire vrai, s’élabore peu à peu chez lui une véritable représentation de la France qui engage, non seulement des jugements sur les principaux personnages français qu’il a pu connaître, mais aussi une réécriture de l’histoire de France, orientée dans un sens très polémique. S’agissant d’un personnage dont l’existence fut marquée par de brusques changements de carrière (secrétaire de plusieurs hauts prélats au concile de Bâle, puis secrétaire impérial auprès de Frédéric III à partir de 1442, enfin clerc engagé dans une carrière qui le conduira de la pourpre cardinalice au pontificat en 1458), nous avons choisi pour rendre compte de sa pensée à l’égard de la France une approche thématique, articulée autour de trois pôles majeurs : la réinterprétation de l’antiquité carolingienne de la France, la critique des monarques français contemporains, et le dénigrement généralisé de la nation française. Si la conjoncture et sa situation personnelle l’incitent à accentuer davantage, à des moments précis de sa carrière, tel ou tel aspect, on ne peut qu’être frappé, comme nous essaierons de le montrer, par la constance de son tempérament gallophobe. Au-delà de l’inventaire des dénonciations récurrentes, la démarche de Pic-colomini/Pie II cherche moins à répertorier des stéréotypes négatifs qu’à les réactiver dans des contextes diplomatiques ou politiques, où les Français seront toujours perçus par lui comme des adversaires permanents.
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