Saint-Simon et le «goût italien» : l’homosexualité dans les Mémoires
Damien Crelier
Crelier, Damien. Saint-Simon et le «goût italien» : l’homosexualité dans les Mémoires, Cahiers Saint-Simon, n° 42, 2014. Eros chez Saint-Simon. Journée d’études du samedi 8 mars 2014, p. 47-60.
Extrait de l’article
Voici, extraites de La Prisonnière de Proust, quelques répliques d’une conversation entre le flamboyant baron de Charlus et l’infatigable étymologiste qu’est Brichot :
— Alors, à notre époque, c’est comme chez les Grecs, dit Brichot.
— Mais comment, comme chez les Grecs ? Vous vous figurez que cela n’a pas continué depuis ? Regardez, sous Louis XIV, Monsieur, le petit Vermandois, Molière, le prince Louis de Baden, Brunswick, Charolais, Boufflers, le Grand Condé, le duc de Brissac.
— Je vous arrête, je savais Monsieur, je savais Brissac par Saint-Simon, Vendôme naturellement et d’ailleurs bien d’autres mais cette vieille peste de Saint-Simon parle souvent du Grand Condé et du prince Louis de Baden et jamais il ne le dit.
— C’est tout de même malheureux que ce soit à moi d’apprendre son histoire à un professeur en Sorbonne. Mais, cher maître, vous êtes ignorant comme une carpe.
Ces quelques lignes empruntées à une discussion qui se tient en aparté au cours d’une soirée organisée par les Verdurin, outre leur saveur intrinsèque, ont le mérite de nous inviter à un double constat. La longue énumération de Charlus, tout d’abord, souligne que l’homosexualité est une incontournable réalité du Grand Siècle. La réaction étonnée de Brichot est quant à elle tout aussi instructive, puisqu’elle nous rappelle que, si l’homosexualité est bel et bien présente dans les Mémoires du duc de Saint-Simon, elle n’y est pas systématiquement explicite ni manifeste.