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Les alliances de l’aristocratie avec les familles de financiers juifs à Paris, 1840-1940 : déterminants socio-démographiques et débat religieux

Cyril Grange

Grange, Cyril, « Les alliances de l’aristocratie avec les familles de financiers juifs à Paris, 1840-1940 : déterminants socio-démographiques et débat religieux », Histoire, économie & société, 2014/4 (33e année), p. 75-93.

Extrait de l’article

À la date du 22 mars 1886, la marquise de Breteuil née Constance de Castelbajac écrit dans son Journal : « Les mariages entre juifs et chrétiens se vulgarisent beaucoup. On a beaucoup crié dans le commencement, mais s’il fallait continuer, les mères de l’église auraient le gosier sec car maintenant cela se fait partout et dans toutes les classes. Le duc de Gramont a donné le signal en épousant une Rothschild, le prince de Wagram en a épousé une autre. La duchesse de Richelieu et la duchesse de Rivoli sont juives aussi. » Ce n’est pas, cependant, le duc de Gramont « qui a donné le signal » : son mariage avec Marguerite de Rothschild a été célébré en 1878 alors que de nombreuses alliances « mixtes » ont déjà été contractées. En 1843 et 1844 par exemple, deux filles du baron Maurice de Haber, Caroline et Clémence, ont convolé avec des partis chrétiens, la première avec Ernest Henri, vicomte de Grouchy, neveu d’Emmanuel, Marquis de Grouchy, Maréchal d’Empire et Pair de France, la seconde avec Arthur-Louis Legrand de Villers, futur Régent de la Banque de France.

Célébrés en 1843 et 1844, ces deux mariages sont, semble-t-il, parmi les premiers que la haute société juive contracte avec les grandes familles de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie catholique. L’évolution du nombre des alliances mixtes sur une période qui couvre le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle montre en effet que c’est essentiellement à partir de la décennie 1860 que ces mariages se multiplient. Ils connaissent un ralentissement entre 1880 et 1900 sans doute lié au regain d’un climat d’antisémitisme et à l’Affaire Dreyfus pour la fin de la période, puis reprennent jusqu’en 1914. La guerre y met un coup d’arrêt. Par la suite, le nombre de mariages avec la bourgeoisie chrétienne continue de croître, alors qu’il marque le pas dans le cas de l’aristocratie. Ces alliances concernent les plus prestigieuses des familles de la haute société juive parmi lesquelles les Goldschmidt, Stern, Porgès, Pereire, Ephrussi, Halphen... mais aussi les Rothschild. De la même manière, on retrouve les grands noms de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie française, Chasseloup-Laubat, Faucigny-Lucinge, Fitz-James, Gramont, La Ferté-Meun, Wagram... et pour la bourgeoisie, Goüin, Pastré.

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