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Volker Barth : Inkognito. Geschichte eines Zeremoniells

Pascal Firges

Comment citer cette publication :
Pascal Firges, "Volker Barth : Inkognito. Geschichte eines Zeremoniells", Paris, Cour de France.fr, 2015 (https://cour-de-france.fr/article3671.html). Compte rendu publié le 28 février 2015.

Volker Barth, Inkognito. Geschichte eines Zeremoniells, Munich, Oldenbourg Verlag, 2013, 358 pages.

Abordant une thématique peu étudiée en soi, cet ouvrage traite de l’histoire du cérémoniel de l’incognito – ou plutôt, de l’incognito comme cérémonial. Bien que V. Barth a concentré sa recherche sur l’époque moderne, étendue au XIXe siècle, il traite aussi les précurseurs littéraires et même mythologiques de l’incognito. Cette étude se compose en quatre parties. La première aborde l’histoire de l’incognito, de l’Antiquité au Moyen Âge. La partie suivante est consacrée à des cas emblématiques et à la systématisation du cérémoniel de l’incognito à l’époque moderne. Les dernières deux parties traitent principalement du roi Louis II de Bavière.
Dans son introduction (p. 9-24), l’auteur définit l’incognito comme changement d’identité volontaire et passager d’une personne d’un statut social élevé. Une condition préalable pour ce changement est d’une part une mentalité prémoderne qui accepte le changement de l’identité d’un individu, et d’autre part l’acception du principe que l’identité soit liée à certaines fonctions et un certain statut social (p. 10). L’incognito est fortement lié à l’introduction successive des pratiques cérémonielles dans tous les domaines de la vie courtoise. Selon V. Barth, la cérémonialisation croissante des sociétés de cour nécessitait des « mesures compensatoires ». L’incognito était une telle mesure (p. 13). Or, il ne faut pas considérer l’incognito comme contraire au cérémonial, mais comme un élément du cérémonial – élément d’un caractère à la fois ludique et pragmatique.
Comme tout autre cérémoniel, l’incognito était un dispositif aboutissant à une performance sociale et par conséquent à la stabilisation de l’ordre hiérarchique. Le but de celui qui adopte l’incognito n’était pas qu’on ne l’identifiait pas. L’incognito obligeait le public de participer à un jeu d’identités. Il s’agissait d’accepter et d’affirmer que celui qui prit l’incognito n’était pas le roi de X, mais seulement le comte d’Y. Les conditions préalables de l’incognito étaient donc à la fois une certaine notoriété que la faculté de faire respecter ce changement d’identité volontaire (p. 16).
Après ces intéressants constats donnés en introduction, l’auteur aborde dans la première partie de son livre la genèse de l’incognito à l’aide d’une analyse littéraire (p. 27-97). Dans les premières deux chapitres, il présente un aperçu des jeux d’identité dans l’Odyssée, les récits de la vie de Jésus et de Bernard de Clairvaux, jusqu’aux rois du Moyen Âge. Le troisième chapitre traite de l’émergence du cérémoniel de l’incognito au bas Moyen Âge.
Selon V. Barth, le terme d’« incognito » comme concept d’un cérémonial apparait au XVIe siècle. Son élaboration et sa codification ont eu lieu au XVIIe et XVIIIe siècle. La deuxième partie du livre est consacré à ces deux siècles ; elle constitue la partie centrale du livre (p. 101-179). Barth considère comme moment clé le voyage en Europe du tsar Pierre le Grand en 1697/98. C’était la « Grande Ambassade » du tsar qui rendait respectable l’incognito et qui le popularise comme pratique de voyage des princes. Cette pratique permettait ensuite aux souverains de l’Europe de se rencontrer sans dépenser des sommes importantes pour les obligations cérémonielles. De plus, elle facilitait les rencontres entre princes et monarques par le fait qu’elle évitait les multiples enjeux de rang et de questions de précédences qui menaient inévitablement à des conflits diplomatiques. Dans les manuels diplomatiques, genre littéraire en plein développement, le voyage de Pierre le Grand était présenté comme précèdent légitimant la pratique. Les monarques du despotisme éclairé utilisaient l’incognito ensuite aussi pour des voyages entrepris dans leurs propres territoires, comme les tours d’inspection qui étaient ainsi moins incommodes et moins couteux.
Les deux dernières parties du livre abordent l’incognito au XIXe siècle (p. 183-311). Les changements du cérémonial curial à la suite de la Révolution française et leurs effets sur l’incognito sont cruciaux pour cette époque. Malgré cette évolution, l’importance de l’incognito continuait et se renforçait même à cause de l’augmentation des voyages des monarques.
Au cœur des deux parties se trouve Louis II de Bavière, roi excentrique, qui a effectué plusieurs voyages sous incognito et qui se servit de cette pratique pour ses ‘escapades’, fuyant ses devoirs politiques. La troisième partie (p. 183-244) aborde entre autres les voyages de Louis II vers les bains de Bad Kissingen en 1864 où il rencontrait l’empereur d’Autriche, le roi du Wurtemberg et la famille du tsar Alexandre II, ainsi que son voyage à Paris en 1867, dédié à la visite de l’exposition mondiale. La quatrième partie (p. 247-311) décrit les voyages du roi de Bavière à Versailles en 1874, à Reims en 1875 et en Suisse en 1881. Le dernier chapitre de cette partie traite du XXe siècle et s’achève avec une conclusion (p. 289-311).
Volker Barth nous propose une étude très intéressante et utile qui permet de suivre l’évolution de l’incognito sur la longue durée, tout en étudiant avec un grand sens de précision la période charnière de cette histoire, située aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Le principal reproche qu’on peut faire à l’auteur est d’avoir été un peu trop captivé par Louis II de Bavière auquel il consacre le dernier tiers de son livre. Mais cet aspect ne nuit pas au fait que l’ouvrage apporte de nombreux éléments neufs et une analyse pertinente de l’histoire et de la fonction d’un cérémonial peu étudié à ce jour.

Pascal Firges, Institut historique allemand, Paris