Entrée royale et idéologie urbaine au XVIIe siècle
Jean-Marie Apostolidès
Apostolidès J.-M., Entrée royale et idéologie urbaine au XVIIe siècle, Dix-septième siècle, 2001/3, N° 212, p. 509-520.
Extrait de l’article
Louis XIV fait son entrée à Paris le jeudi 26 août 1660 ; c’est une occasion pour
présenter au pays la reine Marie-Thérèse qu’il vient d’épouser et que les Français ne
connaissent pas. Mazarin a voulu que cette entrée revête un éclat particulier ; le
contexte politique s’y prête et le premier ministre a peut-être secrètement souhaité
que le triomphe du roi soit aussi le sien. Cependant, au-delà du motif officiel, on
peut lire à travers ce cérémonial les principales caractéristiques de l’idéologie
urbaine, telle qu’elle se transforme sous la monarchie absolue. En ce sens, l’entrée
royale constitue un révélateur, au sens chimique du mot, de ce qui est implicite dans
le quotidien. La fête s’oppose à la vie quotidienne en ce qu’elle rend visible des
mutations qui ne seraient que senties sans la mise en scène de cette image qui leur
donne un caractère irréfutable.
L’entrée royale, comme la majeure partie des productions intellectuelles et artistiques
du XVIIe siècle, est le fruit du travail d’un type d’homme nouveau, que je nommerai
le Serviteur. Il s’oppose en tous points à la fois au Féodal, qui est une survivance
désuette de la société médiévale, et au Courtisan, dont l’apparition est liée
au développement de l’absolutisme. Le Serviteur n’est pas un bourgeois, au sens
marxiste du mot, mais il en constitue la préfiguration. C’est un type d’homme qui
fonde son rapport au monde à la fois sur une culture universelle et sur une pratique
sociale qui vise à la transformation de la nature. On retrouve ces deux éléments dans
l’entrée de Louis XIV à Paris, mais pour mieux en comprendre les caractéristiques, il
me faut d’abord définir le Serviteur avec plus de précision...