L’embaumement : rituel et symbole de pouvoir en Occident
Philippe Charlier
Charlier, Philippe, L’embaumement : rituel et symbole de pouvoir en Occident, Histoire des sciences médicales, 2015, 49 (1), p. 99-104
Extrait de l’article
Introduction
Pour quelle raison a-t-on pris l’habitude, en Occident, d’embaumer le corps des nantis ? De conserver le plus intègre possible le cadavre des puissants, fussent-ils rois, reines, aristocrates ou ecclésiastiques ? En quoi le corps mort devient-il un objet de puissance, un faire-valoir au service d’une famille, d’un clan, d’une dynastie ? Quel modus operandi permet cette conservation partielle ou entière du cadavre ? C’est à ces questions pratiques que nous allons tenter de répondre.
La théorie
Les débuts de l’embaumement sont marqués par un but pratique : rendre présentable au public le cadavre d’un individu mort à distance de son lieu de sépulture. Pèlerin ou Croisé tombé en Terre Sainte, voyageur ou ambassadeur, etc. Dans ce premier temps de l’embaumement, ce sont les cuisiniers qui vont œuvrer : ils ont l’habitude d’ouvrir les carcasses animales, ils savent saigner une viande, ils ont accès aux aromates. Ainsi retardent-ils temporairement la décomposition et la putréfaction en ôtant les lividités cadavériques, en éviscérant le tronc, et parfois en retirant le cerveau de la boîte crânienne, puis en remplissant les cavités devenues vides par des substances desséchantes et odoriférantes : épices, sel, encens, herbes aromatiques, etc. Des éléments extra-culinaires peuvent s’ajouter à cette “cuisine des morts” : cuivre, mercure, chaux vive, etc. Rien ne différencie, dans les faits, une volaille farcie ou une tête de veau d’un cadavre embaumé, à ce détail près que le défunt sera présenté publiquement dans un but quasiment médicolégal : on doit s’assurer que celui dont la mort est déclarée est bien le bon défunt. La reconnaissance des traits ou particularités physiques de l’individu est obligatoire.