L’air de Cour et ses poètes au temps d’Henri IV
Georgie Durosoir
Georgie Durosoir, "L’air de Cour et ses poètes au temps d’Henri IV", dans Cahiers de l’AIEF, année 1989, volume 41, numéro 41, p. 117-127.
Extrait de l’article
Les musiciens sont d’insatiables consommateurs de poésie, notamment aux XVIe et XVIIe siècles où toute la musique de chambre, c’est-à-dire le divertissement privé aristocratique et bourgeois, est presque intégralement vocale. Il faut cependant souligner que le XVIIe siècle sera pour les instruments une époque déterminante, au cours de laquelle va se constituer leur répertoire spécifique, de plus en plus libéré de ses attaches directes avec la polyphonie vocale. En France, l’air de cour associe fréquemment le luth à la voix, jusqu’à ce que l’instauration de la basse continue, vers 1650, le détrône au profit du clavecin.
A partir des années 1570, la chanson, genre polyphonique savant, au contrepoint souvent complexe, avait peu à peu cédé la place aux airs à quatre parties, plus simples et homophones, héritiers du vaudeville. Bien qu’Adrian Le Roy, en 1571, publie un livre de musique intitulé Airs de court mis sur le luth, ce terme disparaît de l’édition imprimée jusqu’en 1596. A partir de cette date, il se généralise dans les recueils de Guédron et de ses contemporains, publiés par Pierre Ballard, imprimeur du Roy pour la musique. Au temps d’Henri IV, l’air de cour est donc l’héritier direct des vaudevilles et airs à quatre parties des dernières décennies du XVIe siècle. Il perpétue, pendant plusieurs dizaines d’années, une tradition vocale polyphonique quelque peu archaïque, face à l’Italie qui vit, depuis l’orée du XVIIe siècle, à l’heure du dramma per musica.
Cependant, parallèlement à cette tradition polyphonique, le répertoire de l’air de cour se trouve presque intégralement transcrit pour voix et luth, entre 1608 et 1643. Grâce à cette transposition, il s’ouvre à un public plus vaste, à la pratique des amateurs, dans les salons parisiens ou les familles cultivées. L’air de cour pour voix et luth représente ainsi la diffusion à la ville d’un art qui, dans son esprit initial, est conçu pour la chambre du roi (lieu où l’on maintient certainement la tradition polyphonique)