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Les règles et le plaisir de la voix dans la tragédie en musique

Sarah Nancy

Sarah Nancy, "Les règles et le plaisir de la voix dans la tragédie en musique", dans Dix-septième siècle, année 2004, volume 2004/2, numéro 223, p. 225-236.

Extrait de l’article

Moderne, classique, baroque : la tragédie en musique, née en 1673 de la collaboration de Lully et Quinault, peut être désignée par chacun de ces adjectifs, ou par tous les trois ensemble, illustrant ainsi la difficulté à rendre compte d’une période ou d’une forme selon une catégorie esthétique.
Chronologiquement – dans un paradoxe qui n’est qu’apparent – la tragédie en musique est d’abord « moderne ». C’est à l’occasion de la querelle d’Alceste que le terme « Modernes » aurait été employé pour la première fois de manière polémique par Charles Perrault. Dans la querelle plus célèbre qui s’ensuit, la tragédie en musique est revendiquée par le parti des Modernes.
Elle est aussi une forme « classique », bien sûr, académique s’il en est : Lully a obtenu en 1672 le privilège de fonder l’Académie royale de musique ; les prologues célèbrent la réunion des arts en hommage au roi. Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, place Quinault aux côtés de Corneille, Racine, Molière, Boileau et La Fontaine. Et, après un siècle où la tragédie en musique ne suscite plus d’intérêt, Romain Rolland, qui en reprend l’analyse dans sa recherche des Origines du théâtre en musique moderne, y voit « l’expression parfaite du style de Louis XIV ».

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En ce qui concerne la voix, la tragédie en musique française, à ses débuts, a peu d’audace à proposer. Difficile d’y reconnaître un plaisir de l’écoute qui nous serait familier : théories, œuvres, commentaires de la première période française de l’opéra n’offrent rien d’autre qu’une entreprise de justification du chant dans une soumission à l’ordre du langage, une volonté d’éviter la voix ou de la rendre invisible.
La tragédie en musique ne se construit pas sur une célébration de la voix chantée. Méfiance et réglementation dominent. Faut-il alors conclure à l’incapacité d’éprouver un plaisir de la voix, incapacité qui serait la marque de fabrique du classicisme français ? Faut-il, au contraire, chercher à débusquer un plaisir inavoué de la voix ?
Puisque les catégories classique/moderne/baroque semblent se définir à partir de ce rapport de la règle au plaisir, il est important de le questionner. Comment rendre compte de la place accordée à la voix dans la tragédie en musique ? Faut-il choisir entre les règles, gage de classicisme, et le plaisir transgressif – peut-être baroque – annonciateur de notre modernité ? Ou peut-on penser un rapport non exclusif des règles au plaisir ?

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