Entretien avec Gérard Sabatier
Gérard Sabatier, Sylvène Édouard, Caroline zum Kolk
Comment citer cette publication :
Gérard Sabatier, Sylvène Édouard et Caroline zum Kolk, Entretien avec Gérard Sabatier, Paris, Cour de France.fr, 2013. Interview publiée en ligne le 1er février 2013 (https://cour-de-france.fr/article2697.html).
Gérard Sabatier est professeur émérite de l’université de Grenoble 2 et président du conseil scientifique du Centre de recherche du château de Versailles. Ses recherches portent sur la représentation du pouvoir. Sa thèse, publiée sous le titre de Versailles ou la figure du Roi en 1999, fut suivie par de nombreuses publications sur la représentation royale, avec une attention particulière pour les monarchies de France et d’Espagne. Son dernier livre, édité avec M. Hengerer et J. A. Chrościcki, porte sur les funérailles princières en Europe (Les funérailles princières en Europe, XVIe-XVIIIe siècle, collection Aulica, 2012).
L’entretien a été réalisé avec le soutien du Centre de recherche du château de Versailles.
Notes : C. zum Kolk
Jeunesse et formation
C. zum Kolk : Parlez-nous de votre jeunesse et des raisons pourquoi vous vous êtes intéressé à l’histoire…
G. Sabatier : Ma jeunesse… déjà lointaine, mais pas trop quand même. Je suis centralien, non d’école, mais de massif puisque je suis né en 1941 au Puy-en-Velay, Haute Loire. Mon père était cadre aux Tanneries du Puy, issu d’une famille d’instituteurs et d’institutrices d’origine paysanne, purs produits des Écoles normales de la IIIe République. Quand j’ai reçu les palmes académiques, j’ai pensé à mon arrière-grand-père qui les avait reçues il y a un siècle. J’ai toujours sa décoration, avec son ruban violet… C’est ma grand-mère paternelle qui m’a donné le goût de l’histoire, et de la culture en général. Elle faisait partie des gens qui fréquentaient les Vieilles Maisons Françaises (VMF) [1]. Je me rappelle que pendant des années, au mois de juillet, nous ne manquions jamais la journée des VMF et j’ai vu tous les châteaux du voisinage, où l’on était reçu par de vieilles dames qui servaient des petits fours… ce qui m’a intéressé au concret des choses.
Du côté de ma mère, c’était complètement différent. Même origine rurale, mais catholique. L’éducation des enfants se faisait chez les frères des écoles chrétiennes. C’étaient des paysans plutôt rugueux, rassembleurs de terres, un peu marchands de blé, un peu cabaretiers, pour qui la promotion sociale se faisait vers le commerce et vers la ville. Donc, une source populaire, nullement intellectuelle. J’ai lu l’entretien avec Monique Chatenet [2] dont les parents étaient archivistes – moi, je ne suis pas arrivé dans ce métier par atavisme familial, sinon que… ma grand-mère était institutrice et être professeur de lycée, puis d’université, c’était comme une sorte d’accomplissement. Et l’enseignement m’a plu. J’ai beaucoup aimé enseigner. Bref, je ne sais pas si je n’ai pas hérité un peu de cette « mission Troisième République », il y a un peu de ça.
S. Édouard : Où s’est déroulée ta scolarité ?
G. Sabatier : J’ai fait mes études au Puy, à une époque où la ville et la campagne étaient encore très proches du XIXe siècle. Le Puy est une petite ville médiévale d’allure, accrochée à ses volcans et dominée
[page 2]
par sa grande cathédrale. J’ai passé beaucoup d’années dans cette ville qui m’a probablement assez marqué. J’étais au lycée qui était l’ancien collège des Jésuites, dans des classes qui, dans l’après-guerre, étaient très réduites en effectifs, et avec des professeurs qui n’étaient pas de mauvaise qualité, loin de là. Ça a été une scolarité d’enfant studieux et j’ai été intéressé assez vite par l’histoire, un peu par imprégnation de cette ville et de ces paysages, et par ce qui s’est passé un moment au lycée : on avait fait des fouilles pour installer le chauffage central, et on avait trouvé, comme c’est souvent le cas au Puy, un site gaulois. Pendant plusieurs semaines, les récréations consistaient à fouiller les tas de terre dans la cour pour y chercher des poteries. Ce qui fait qu’à l’époque j’ai été assez intéressé par l’archéologie. Mon professeur de dessin était conservateur du musée de la ville, un grand érudit ; j’ai été assez lié avec lui. Voilà pour l’ambiance de ces années. Ensuite j’ai été en hypokhâgne au Lycée du Parc à Lyon. J’ai connu là des professeurs impressionnants, notamment Joseph Hours [3], professeur d’histoire, personnage très curieux et comptant dans la vie politique lyonnaise d’après-guerre. Il n’était pas loin d’achever sa carrière, ce qui fait que j’ai pu parler à Bernard Hours [4] de son grand-père qu’il avait peu connu. Il y avait aussi Jean Lacroix, Victor-Henri Debidour… Je suis resté un an au lycée du Parc, car la sélection pour la khâgne était draconienne, et suis ensuite parti à Saint-Étienne pour préparer l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud. J’ai passé deux ans au lycée Claude Fauriel. Et j’ai connu là un autre enseignant, Henri Dellenbach, qui nous a vraiment formés, nous a appris le métier d’historien. Non pas que ses méthodes étaient nouvelles, au contraire, mais c’est la passion qu’il avait pour l’histoire qui nous, la petite équipe qui avait pris cette option, a fascinés. Il nous a donné le goût du travail.
J’ai passé deux fois le concours d’entrée à Saint-Cloud. La deuxième tentative faillit être la bonne puisqu’après avoir eu l’écrit, j’ai raté l’oral d’un demi-point, ce qui n’est pas beaucoup… Ainsi ma carrière n’a pas été parisienne. Ça n’a pas été Saint-Cloud, donc retour à Lyon.
L’université de Lyon et la « bande à Léon »
C. zum Kolk : Vous avez commencé vos études à l’université de Lyon au milieu des années soixante…
G. Sabatier : Oui, c’était une époque très agréable pour faire des études parce que c’était avant les grands flux - on n’était qu’une trentaine d’étudiants par année qui avaient contact avec des enseignants de haut vol. Il y avait là pour le Moyen Âge Marcel Pacaut [5] et pour l’Antiquité Marcel Le Glay [6] tout juste revenu d’Alger et ardent partisan de l’Algérie française ; il ne se privait pas de faire des allusions dans ce sens… Le contre-pied était donné par le brillantissime Pierre Vidal-Naquet [7], qui débutait alors comme assistant ou chargé de cours. La tension était extrêmement forte alors entre les étudiants qui étaient pour la plupart pour l’indépendance de l’Algérie, sauf un tout petit groupe, extrêmement actif.
Des professeurs de qualité - je garde les meilleurs pour la fin - étaient en histoire moderne : Richard Gascon [8], le grand spécialiste de la vie lyonnaise au XVIe siècle, et celui qui m’a longtemps attiré, et que j’ai beaucoup aimé, Pierre Léon [9]. Pierre Léon était nouvellement arrivé à Lyon où il n’avait pas été accueilli avec un enthousiasme délirant Il était juif et avait échappé de justesse à la mort pendant l’occupation. Il avait commencé sa belle thèse [10] à Grenoble, mais les Grenoblois l’avaient dédaigné et il s’était retrouvé à Lyon. C’était un homme chaleureux et très dynamique, et en plus l’histoire économique et sociale était le « must » à l’époque, c’était la nouveauté des nouveautés. Le contraste était grand avec l’autre pole, l’histoire politique, enseignée, je dirais presque incarnée, par André Latreille [11], un très grand monsieur, mais assez hautain et impressionnant… Ça n’était pas du tout le cas avec Léon qui séduisait par son affabilité et sa problématique innovante, et qui était en train de former ce centre de
[page 3]
recherche qui porta ensuite son nom [12].
J’ai passé trois années très agréables à Lyon, de 62 à 65 : deux ans pour la licence, puis une année pour préparer le diplôme [13]. J’avais choisi Pierre Léon comme maître. Comme j’étais toujours très attaché à mon pays d’origine, je lui avais proposé un travail sur les campagnes du Velay sous l’Ancien Régime, à partir de documents du XVIIIe siècle. Tout ceci paraît aujourd’hui banal - à l’époque ça l’était beaucoup moins. Pierre Goubert venait tout juste de sortir Beauvais et le Beauvaisis, et Le Roy Ladurie n’avait pas encore publié sa thèse, mais donnait des conférences et des séminaires qu’on connaissait [14].
C. zum Kolk : Pierre Goubert parle d’ailleurs de vous dans ses mémoires. Il dit que vous faisiez partie de la « bande à Léon », avec Maurice Garden, Gilbert Garrier et Yves Lequin, et il vous décrit comme « mobile et pétulant » [rires] [15].
G. Sabatier : Oui, ceux-là étaient (de peu) mes ainés. Lequin travaillait sur les ouvriers de la région lyonnaise au XIXe siècle [16], Garrier était « ruraliste », il a fait sa thèse sur les paysans du Beaujolais et du Lyonnais [17]. Maurice Garden achevait à cette époque sa thèse sur Lyon au XVIIIe siècle, publiée peu après [18].
En ce qui concerne Pierre Goubert, j’ai eu beaucoup d’amitié pour lui, surtout plus tard, quand Pierre Léon est parti de Lyon pour Paris où il mourut malheureusement trop tôt. À ce moment-là, je me suis trouvé en panne de patron, car j’avais transformé le mémoire de diplôme en thèse d’État. Goubert a été pour quelque temps mon patron de thèse. On avait beaucoup sympathisé et on est restés amis par la suite. J’avais eu à la fin des rapports assez curieux avec lui puisque je m’intéressais à Louis XIV que Goubert honnissait. Je me rappelle lui avoir présenté ma thèse une fois qu’elle était achevée et Goubert m’a dit : « Eh bien, vous avez fini par me faire aimer Louis XIV », ce qui, je crois, est un beau coup d’éclat [rit].
Pour terminer avec la période lyonnaise : je soutiens en juin 1964 le mémoire pour le DES sur les campagnes du Velay [19] et présente l’agrégation que j’ai dans la foulée, en 1965. Je suis alors nommé professeur d’histoire-géographie au lycée Gabriel Fauré à Foix, et je m’inscris pour une thèse de doctorat d’État sous la direction de Pierre Léon : Nobles et seigneurs en Languedoc des montagnes (Velay, Vivarais, Gévaudan) XVIIe-XVIIIe siècles [20]. C’était un travail assez solitaire, parce que d’une part j’étais loin des sources, d’autre part parce que Pierre Léon était avant tout un historien de l’industrie, du commerce et de la banque et un homme de la ville, pas du tout un homme du monde rural. Après deux années ariégeoises, comme il fallait bien faire son service national, je postule pour un poste de coopérant en Tunisie. C’étaient les premières années de l’indépendance tunisienne. Mon nouveau poste me plaisait assez : j’enseignais aux Écoles Normales de la Marsa et de Carthage dans la banlieue de Tunis, dont les élèves venaient des classes les plus pauvres de la Tunisie, et pour lesquels le métier d’instituteur représentait une évidente promotion sociale. J’étais en contact avec des jeunes très désireux d’apprendre, une soif de culture extraordinaire. Ça devait être comme ça sous la IIIe République, à l’époque où mes grands-parents ont enseigné. Je me suis beaucoup plu en Tunisie. J’ai parcouru tout le pays. Je connaissais très bien Tunis, la ville était fascinante, la liberté de circulation et de visite totale. L’archéologie romaine et les palais de la médina commençaient à me faire oublier le Languedoc des montagnes…
S. Édouard : Qu’est-ce qui s’est passé après ce séjour tunisien ?
[page 4]
Le renouveau de l’histoire politique
G. Sabatier : Quittant la Tunisie j’avais postulé pour Montpellier (le Languedoc et la mer…) et pour Grenoble (ski et montagne). On m’a donné Grenoble, et ça a été tout à fait déterminant. J’arrive en 69 pour enseigner au lycée Emmanuel Mounier. C’était un choc de quitter la Tunisie avec ses élèves relativement calmes, et de retrouver des lycéens français qui sortaient de 68… Grenoble était très dynamique à cette époque. L’université était en pleine ébullition, des barricades partout, Jean-Luc Godard s’installait dans les tours... Enfin, la révolution venait de Grenoble, c’est là qu’allaient naître beaucoup de choses, pensait-on… Je continue mon travail de recherche sur mes paysans et mes seigneurs du Languedoc, mais avec de plus en plus de peine. Pierre Léon n’était plus à Lyon, car mai 68 avait été très dur pour lui. Il n’avait pas du tout compris et apprécié ce mouvement de révolte, et la forme que ça avait prise à Lyon : l’université occupée, sa chère bibliothèque menacée (ses fidèles, Garden et Lequin, couchaient sur place pour éviter qu’elle ne soit pillée). Bref, pour Pierre Léon, qui était un homme extrêmement ouvert, mais un homme d’ordre quand même, ça n’était pas la chienlit, mais presque ? Quand on lui a proposé un poste parisien, il est parti. Il revenait tous les quinze jours à Lyon et nous, ses thésards, faisions la queue pour lui présenter nos travaux, mais bon... C’est une des raisons pour lesquelles mon intérêt pour cette recherche s’est un peu effiloché. Autre raison, plus importante pour la suite scientifique de l’aventure : l’histoire politique était en plein renouvellement. J’étais de plus en plus fasciné par ce que Vovelle a appelé « passer de la cave au grenier ». Bernard Bonnin [21], qui travaillait sur le monde rural, m’avait fait rentrer à l’université dès 1971 et on m’avait prié aussi de faire des cours à Sciences Po. Là on travaillait sur de nouvelles approches concernant l’État. Déjà pendant mes années lyonnaises, les pôles idéologiques constitués autour d’Albert Soboul [22] et Roland Mousnier [23] s’affrontaient durement.
C. zum Kolk : D’un côté, une histoire marquée par la théorie marxiste, de l’autre une histoire politique fondée sur l’étude des institutions ?
G. Sabatier : Tout à fait. Mais les matériaux sur lesquels se fondaient leurs argumentaires étaient de même nature : les forces sociales, la production théorique, les institutions. À présent, un déplacement s’opérait vers des problématiques nouvelles. À Grenoble, ce dont nous discutions, c’était des processus par lesquels se fabriquaient le sens, le consensus, l’adhésion, le faire croire, l’environnement mental … On a travaillé sur l’image notamment ; c’était l’époque où la télévision commençait à jouer un rôle très important, l’époque des élections présidentielles et des grands débats télévisés, Giscard-Mitterrand par exemple [24]. On voyait clairement combien l’image (et le travail sur l’image) était fondamentale pour « fabriquer » un homme politique, comme dira plus tard Peter Burke [25]. Or, en histoire de l’art, qui était extrêmement languissante à l’époque (à Grenoble, je ne parle pas de l’histoire de l’art d’une façon générale [rires]) est arrivée alors une sorte de météore qui s’appelle Gérard Labrot [26]. Normalien, élève de Francastel [27], il était historien de l’art, mais aussi philosophe et avait longtemps vécu en Italie. Il avait commencé par le Sud, par Naples, et fini par Turin, avec un long passage à Rome, à l’École française. Il arrivait donc à Grenoble avec quelques ouvrages déjà publiés, et beaucoup d’articles, et notamment un petit livre qui a été mon déclencheur : Caprarola, essai de lecture [28], préfacé par Francastel. Il s’agissait de la « lecture » d’un site porteur d’une signification politique : comment un site fabrique du politique. Pour moi qui cherchais ce qui avait du sens, ce qui pouvait produire du sens, ce livre a été véritablement une révélation. J’ai été très lié avec Labrot, et pendant longtemps. Il m’appelait « l’autre Gérard » ; on a quasiment le même âge.
[page 5]
Je me suis mis à regarder ce qui avait été publié qui pourrait ressembler au Caprarola de Gérard Labrot pour les résidences françaises de l’Ancien Régime. Je n’avais suivi dans le domaine de l’histoire de l’art ni école, ni magistère, je n’étais dans aucun sérail. Chastel et Francastel étaient pour moi des noms, des gens que je ne connaissais pas. Je discutais beaucoup avec Gérard Labrot, mais sa personnalité en fait un individu unique et solitaire, sans école, sans équipe de recherche, c’est un individualiste absolu. Donc, je travaillais tout seul et j’ai concocté l’idée de travailler sur un lieu qui serait un lieu significatif, plus qu’un lieu de pouvoir : le lieu du pouvoir. En France (ça n’est pas l’Allemagne, ça n’est pas l’Italie) il n’y avait que Versailles qui fût intéressant pour l’historien moderniste. Donc, entre 1975 et 1980, j’abandonne peu à peu l’histoire économique et sociale pour travailler sur les systèmes de représentation et leur fonctionnement. J’inscris en 1982 à l’université de Paris I sous la direction de Daniel Roche [29] un nouveau sujet de thèse : Versailles ou l’imaginaire de l’absolutisme. Espaces, monuments, idéologies, lecture d’un ensemble palatial, XVIIe-XVIIIe siècles.
Avant d’aborder ce qui sera désormais mon champ de recherche prioritaire, je dois mentionner des activités qui me mobilisèrent fortement pendant la décennie 1980-1990, en relation avec la préparation du bicentenaire de la Révolution française. Elles constituaient une autre modalité de mon intérêt pour les images. J’avais été associé d’assez près à la création du Musée de la Révolution française à Vizille [30]. Son directeur Philippe Bordes [31], historien de l’art, avait fait le pari d’y réunir une collection attestant la qualité de la production artistique pendant cette période tout autant que de son instrumentalisation au service du nouveau régime. Je m’intéressai, quant à moi, au réemploi de l’iconographie traditionnelle, spécifiquement dans le décor des sabres portés par les gardes nationaux. Je réunis pour une exposition un ensemble quasi exhaustif de ces armes plus emblématiques que guerrières [32]. Je travaillais aussi avec le Centre de Politologie Historique à l’IEP de Lyon II qui était dirigé par Philippe Dujardin, et je collaborais à un programme de recherche sur les commémorations de la Révolution à Lyon ; je fus commissaire des expositions La mémoire façonnée. L’imagerie révolutionnaire à l’école [33]. Mais revenons au principal.
La genèse de l’État moderne
C. zum Kolk : Vous collaborez ensuite à un programme de recherche international qui a été évoqué dans plusieurs des entretiens que nous avons menés : il s’agit de l’ATP La genèse de l’État moderne, initiée et organisée par Jean-Philippe Genêt [34] à partir de 1983. Il me semble que ce projet a été un lieu de réflexion important pour les nouvelles approches et thématiques qui émergeaient dans l’histoire politique…
G. Sabatier : On peut dire que ça a été mon vrai départ, parce que jusqu’à présent, j’étais en train de réfléchir à ce que je pourrais faire de façon désordonnée, un peu anarchique. Se lance alors cette affaire, La genèse de l’État moderne. Cette thématique n’arrivait pas par hasard. En 1981, l’élection de Mitterrand avait bouleversé la donne et la politique était partout, c’était ça qui intéressait. Les équipes grenobloises notamment étaient très mobilisées. Et ensuite s’est lancée cette ATP. C’était un vrai miracle parce qu’il y avait beaucoup d’argent - ce qui va d’ailleurs amener la perte rapide de cette aventure, car les jaloux étaient nombreux.
Jean-Philippe Genêt lance le projet avec beaucoup d’ouverture, en essayant de convoquer sur le thème de la genèse de l’État moderne toutes les approches possibles : institutionnelle, juridique, militaire, économique, sociale, et évidemment culturelle, avec notamment le problème de l’image. Alors, je soumets un projet qui est accepté [35]. Il y avait un autre projet de la part des historiennes de l’art Anne-Marie Lecoq, Monique Chatenet et Françoise Boudon [36]. Les réunions préparatoires étaient œcuméniques : on
[page 6]
était 200 personnes, c’était extraordinaire. Ça se passait à Rome et dans d’autres lieux prestigieux… J’ai connu là Daniel Arasse [37], j’ai rencontré Sergio Bertelli [38] avec qui je suis resté lié et qui m’invita ensuite à son Laboratorio di storia à l’université de Florence. Il y avait aussi Gérard Labrot et Louis Marin [39].
J’avais conçu un programme extrêmement vaste et ambitieux, portant sur l’iconographie d’État en France et en Italie. On a eu quelques réunions et colloques préparatoires et tout marchait sur des rails, lorsqu’au bout d’un an et demi on apprend que l’ATP est suspendue. Qu’est-ce qui s’était passé ? Cohabitation et arrivée du gouvernement Chirac. Initialement, l’ATP devait durer quatre ans ; on nous apprend brutalement après un an et demi qu’il faut tout arrêter. Le peu de crédit qui restait nous a permis d’organiser un magnifique colloque à Ferrare sur le thème des lieux de pouvoir et des lieux qui disent le politique. Il avait été organisé par la partie italienne, notamment Daniel Arasse, qui s’était occupé de trouver les lieux et une partie des financements… Ce colloque n’a jamais pu être publié, parce que les crédits dégringolaient à ce moment-là partout ; j’ai essayé de le proposer au CNRS Paris, à Lyon, partout c’était la même chose… Il est resté finalement de cette aventure une seule chose publiée : Jean-Philippe Genêt voulait mettre un terme à l’ATP avec un colloque final. Chacune des équipes a défilé et exposé ce qu’elle avait fait, et j’y suis, à côté d’autres [40]. Le programme de recherche fut repris ensuite par la Fondation Européenne de la Science et intitulée Les origines de l’État moderne en Europe, XIIIe-XVIIIe siècles, sous la direction de Jean-Philippe Genet et Wim Blockmans, avec un nombre d’équipes réduit à sept, mais plus internationales quant aux participants. Il se poursuivit de 1989 à 1992 et mena à la publication de sept ouvrages. Je participais à l’équipe Iconographie, propagande et légitimation [41].
S. Édouard : Quels étaient pour toi les résultats les plus importants de ce programme de recherche ?
G. Sabatier : Les deux équipes dans lesquelles j’ai travaillé produisirent des études de cas. J’en retiens une méthodologie pour analyser le fonctionnement des productions iconographiques à finalité politique ou plus largement idéologiques, mais aussi des rituels, des pratiques comme les couronnements et intronisations (c’était le moment où l’on commençait à parler des « cérémonialistes américains » [42]), la diversité des processus, leur adéquation très précise au lieu, au destinataire (singulier ou pluriel), les interrogations sur la compréhension d’un vocabulaire crypté, par les contemporains, mais aussi pour les exégètes d’aujourd’hui. Il manqua, je pense, un travail de réflexion plus conceptuel, notamment sur la pertinence de la notion de propagande dans le contexte des cours princières. Le mot a été employé comme allant de soi.
C. zum Kolk : Pour Jean-Philippe Genêt, la recherche consacrée à l’iconographie et aux symboles s’inscrivait dans une thématique plus large : il s’agissait de comprendre comment l’État moderne ou absolutiste a réussi à se faire accepter par la population. Est-ce qu’il y avait une « propagande » d’État qui a servi à cette fin ? Question clé pour l’histoire de la genèse de l’État moderne qui explique l’importance de cette thématique dans le programme : des vingt-trois équipes de l’ATP, huit traitaient du volet « Le discours, les signes, les symboles ».
G. Sabatier : Le programme de recherche sur la genèse ou les origines de l’état « moderne » (le mot comme la notion seront contestés et ouvriront à polémique) prenait acte d’une réalité passée inaperçue : une connaissance des institutions, textes et personnels censés les faire appliquer, ne saurait rendre compte d’une structure comme l’état. Inversement à la situation actuelle, les états d’alors sont des superstructures extrêmement légères. L’adhésion à un ordre politique ne peut se faire que moyennant l’existence de récits, de mythes, d’images, de constructions mentales, a fortiori lorsque se produit une mutation dans l’équilibre des forces au profit de groupes, de familles voire d’individus tendant à accaparer le pouvoir : la promotion
[page 7]
du prince. La réalité de la force doit s’accompagner, sinon être précédée, de la production d’un imaginaire de force. Quant à parler d’une « propagande d’état », plutôt que d’employer un mot commode, mais anachronique, il vaut mieux analyser précisément les processus du faire-croire.
L’historien et les images. Méthodes et problématiques
S. Édouard : Dès 1984 paraissent plusieurs articles qui signifient clairement la direction nouvelle que prennent tes recherches, à savoir celle de l’histoire de la représentation du prince. Deux articles programmatiques ont été publiés dans le cadre de l’ATP : « Versailles, un imaginaire politique » et « Rappresentare il principe, figurer l’État » [43]. Dans ce dernier tu écris vouloir « renverser la tendance qui consistait à chercher dans l’image une représentation de théories, de pratiques, de conduites élaborées ; bref, à retrouver dans l’imagerie ce qu’on sait déjà. Au contraire, on a voulu considérer l’imagerie, la représentation comme ayant une efficace propre, informant un imaginaire, réalisant par anticipation dans la fiction picturale toute gratuite ce que réalisera ensuite le politique ». Que représente une telle reconversion à l’époque, par rapport à l’historiographie existante ?
G. Sabatier : L’extrait que tu viens de lire est très marqué par Le portrait du roi (1981) [44]. Il faut parler ici de Louis Marin. J’ai commencé à travailler avec lui dans le cadre de l’ATP. Malheureusement, il est mort assez peu de temps après notre colloque de Ferrare. Or, quelque chose qui m’a beaucoup impressionné dans les discussions que j’ai pu avoir avec lui et mes lectures, c’est le principe de « efficace propre » de l’image que Louis Marin développe dans son livre Le portrait du roi et dans bien d’autres productions. La différence entre sa démarche et la mienne est que Marin est un sémiologue, un homme amoureux du langage qui avait un tel plaisir à écrire… C’était un conteur merveilleux, un écrivain superbe, un grand donneur d’idées, mais son ambition n’était pas en priorité de faire un travail d’historien.
Alors, pour revenir à ta question, les historiens, jusqu’à présent, s’étaient considérés d’abord comme des gens de l’écrit. L’image et tout ce qui était iconographie, l’historien les pratiquait encore très peu, pour une raison assez simple de division du travail : l’image relevait de l’histoire de l’art. Les historiens professaient une ignorance revendiquée de l’histoire de l’art, parfois avec un certain mépris et aussi une certaine naïveté. Les choses ont beaucoup changé depuis. Or le retournement, c’est Louis Marin et les sémiologues qui l’ont théorisé. L’image n’est pas seulement reflet d’une réalité antérieure existant hors d‘elle, elle est productive et l’imagination n’est pas un processus passif, mais actif, créatif, anticipatif. Les images peuvent donner corps à ce qui n’existe pas, ou pas encore. Les cas de figure les plus patents sont sans doute les Médicis et les Gonzague. Mantoue, surtout : qu’est-ce que l’État des Gonzague ? C’est la ville de Mantoue et son territoire périphérique, avec des condottieri mercenaires et obligés de l’empereur. Mais à force de montrer partout des géants, des gigantomachies, des Alexandre, des Hercule… à force de faire des entrées princières où ils sont costumés en héros et avec tout le peuple qui les regarde comme des héros… on fait croire, et on finit par y croire. Ils finissent par y croire eux-mêmes ! On voit bien là que l’image précède la réalité de l’État. On le voit très bien à Fontainebleau aussi, quand François Ier commence à apparaître en Imperator. Il n’est pas le premier, Louis XII l’avait fait avant lui, mais d’une façon peut-être moins explicite. Dans le dernier panneau de la galerie, François est en César, avec toute la France rassemblée autour de lui, avec une grenade dans la main, le fruit qui représente l’unité de l’État. Or, on est là dans les années 1540 et l’unité de l’État est loin d’être faite. Quant à la puissance césarienne, elle lui a échappé lors de l’élection de 1519. L’image est là pour affirmer ce qui n’est pas.
[page 8]
S. Édouard : Quel est ton jugement par rapport aux apports de l’histoire de l’art sur ces programmes iconographiques d’État, et le manque d’interprétation qui existait dans ce domaine ?
G. Sabatier : Tout se passe comme si, pour parler comme Louis Marin, les historiens de l’art ont été réticents devant une articulation étroite de l’artistique et du politique, devant une lecture de l’artistique en terme de stratégie. Réticence devant le risque de surinterprétation ? Absence d’argumentaire assez solidement établi ? On avait l’impression que c’était un sujet qui faisait peur. Antoine Schnapper s’est intéressé à la commande, à la constitution des collections, et donc au gout et à la culture des collectionneurs et mécènes. Il a apporté considérablement dans le domaine des pratiques culturelles et des choix d’une esthétique [45]. Mais on avait l’impression qu’il y avait un pas qui n’était pas fait, lequel pas était fait ailleurs, du côté italien par exemple, ou du côté espagnol : quelqu’un qui m’a beaucoup impressionné, et avec lequel j’ai tout de suite sympathisé, c’est Fernando Checa [46]. Il avait fait une thèse sur Charles Quint et l’image du héros à la Renaissance, petit livre qu’il a ensuite augmenté. C’est quelqu’un qui savait lire l’iconographie, les palais, les conduites, les entrées royales… J’étais fasciné, c’était beaucoup plus avancé qu’en France. Anne-Marie Lecoq, avec son François Ie imaginaire [47], développe magistralement une lecture politique des images produites pour le roi de France dans les manuscrits ornés dédiés à lui seul. Monique Chatenet s’intéresse aux usages sociaux de l’architecture au XVIe siècle [48]. Il y a vingt ans, une lecture politique des programmes iconographiques de Versailles était un projet neuf.
C. zum Kolk : Existe-t-il une spécificité versaillaise en la matière ?
G. Sabatier : Versailles est un lieu de pouvoir devenu musée, géré par des conservateurs. Leur travail est l’étude des bâtiments et des jardins, de leurs décors, collections de peintures, de sculptures, de meubles, de tout ce qui faisait l’environnement de la famille royale et des courtisans… Un travail d’identification, d’entretien, de restauration, de restitution. Versailles est présenté comme un objet d’art ; tout au plus évoque-t-on qui y vivait, la vie quotidienne qu’on y menait. Ces approches sont essentielles, mais elles ne suffisent pas pour rendre compte du tout de Versailles. J’ai abordé Versailles en historien du politique, posant des questions simples, voire simplistes. À quoi ça sert ? Qui a vu ? Pourquoi cette peinture, ce décor, cette sculpture précisément, et à cet emplacement ? Le rapport entre l’émetteur et le récepteur, pour parler en termes de médiatisation, n’était pas établi. Et qui étaient les commanditaires ? Aujourd’hui encore, on ne connaît pas très exactement le milieu des donneurs d’ordres, les gens qui travaillent autour du roi, ce qu’on pourrait appeler la chaine de commandement. Thierry Sarmant a étudié Colbert, puis Louvois en tant que surintendants [49], et une thèse est en cours sur la surintendance des bâtiments du roi [50].
Donc comment et pourquoi ça se produit, et, dernière question : comment ça a fonctionné ? Quand je travaille sur le parc de Versailles, je ne travaille pas comme spécialiste des jardins, mais j’essaie de savoir comment le parc a été utilisé et d’établir les différentes manières de le montrer : celles de Louis XIV, mais aussi des auteurs de relations et de guides durant tout le XVIIIe siècle, sans oublier les exégètes de notre temps…
S. Édouard : Cela rejoint le constat fait par Roger Chartier dans Culture et idéologie : la réception est un enjeu fondamental pour l’histoire des représentations et doit être prise en considération autant que possible…
G. Sabatier : Exactement, et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai demandé à Roger Chartier d’être dans mon jury de thèse. Je connaissais ses problématiques et je savais que c’était quelque chose qui pourrait l’intéresser. Mais comment, en tant qu’historien, passe-t-on d’une œuvre d’art à sa réception ? Il y a des
[page 9]
questionnements et des angles d’approche relativement simples à exprimer, plus difficiles à réaliser. Par exemple, je fais très attention à qui voit, et à partir de là beaucoup de choses sont à chercher : où l’œuvre d’art est-elle placée ? Est-ce qu’elle est dans un endroit public, est-ce qu’elle est dans un endroit privé ? Quels sont les gens qui la voient ? Les courtisans ? La famille royale ? Il y a des œuvres d’art qui ne sont destinées qu’au roi, comme les manuscrits à figures que Louise de Savoie fait réaliser pour François Ier. Ça amène à travailler sur les publics. Et c’est valable pour tout : les peintures, les livres, les estampes… Quel est le tirage ? Combien ça coûte ? Concernant les estampes il y a Marianne Grivel et son l’étude sur le marché de l’estampe au XVIIIe siècle [51], par exemple.
Autre question : ceux qui voient, peuvent-ils comprendre ? Face à une iconographie majoritairement mythologique, ont-ils la culture pour la comprendre ? On a dit d’énormes bêtises là-dessus : que le peuple est inculte, qu’il ne comprend rien... Alors que le public urbain du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle a été élevé par les Jésuites, non seulement l’élite, mais aussi les enfants des classes moyennes. Pendant six ans, ces gens-là apprennent le latin à travers la mythologie, et ils sont bien capables de décrypter un plafond ou un spectacle mythologique… Le vocabulaire peut cibler des destinataires : le langage employé par l’émetteur conditionne le récepteur. Par exemple, dans la Galerie des Glaces, on est à l’intermédiaire entre un discours secret, type galerie de Fontainebleau, et la grande propagande, type XIXe-XXe siècle. Dans le Mercure Galant on lit « Monsieur Le Brun a fait attention de ne choisir que des images très simples pour être comprises » (citation de mémoire). Il y avait donc là une attention « propagandiste », un « message » destiné à un large public : celui qui se pressait dans la galerie, visiteurs étrangers notamment, ceux qui la connaitraient par la gravure, puisque l’usage était de faire reproduire systématiquement les œuvres réalisées pour le roi. Le vocabulaire mythologique fonctionnait sur le même schéma que le vocabulaire religieux, où il y avait un stock d’images connu de tous : les figures de la Sainte Trinité, du Christ et de la Vierge, celles des Saints avec leurs attributs identitaires. Le langage pouvait se complexifier considérablement, par l’emploi d’allégories par exemple, lorsqu’on visait un public plus restreint et cultivé comme les chanoines. Il en va de même avec la mythologie : une quinzaine de figures de dieux ou de héros, reconnaissables à leurs attributs. On peut établir un axiome quant au langage figuratif : face au flux des images, chacun comprenait selon sa culture, plus ou moins partiellement. En ce sens, le procédé était ségrégatif. Seule l’analyse précise du positionnement des images et de leur vocabulaire permet d’en inférer du public visé, et par conséquent de l’effet produit. C’est ce système de relations que l’historien doit établir, en se défiant du péché majeur de la surinterprétation.
S. Édouard : Justement, concernant la surinterprétation … Je me souviens très bien que tu es intervenu un jour dans un colloque autour de Lépante où je parlais de la galère royale de don Juan d’Autriche, capitaine général de la flotte de la Sainte Ligue [52]. Elle n’était pas destinée à un public large, mais seulement au capitaine et présentait un programme iconographique assez étonnant. Pour répondre à une personne du public qui ne comprenait pas, du coup, l’intérêt d’une telle décoration pour l’époque et pour l’historien des représentations d’aujourd’hui, tu as expliqué que l’image n’a pas besoin d’être vue par un grand nombre pour avoir une utilité… et on en vient ainsi à l’idée que ces programmes iconographiques ne sont pas forcément conçus pour faire croire quelque chose à un public large, mais sont aussi parfois destinés au prince lui-même. Il peut s’agir d’un discours offert au prince sur lui-même, sur ce qu’il peut incarner, sur ce qu’il doit incarner…
G. Sabatier : C’est très intéressant, parce qu’une question parmi d’autres à se poser concerne le statut de l’image. Nous avons au XXe siècle un court-circuitage immédiat : l’image est un média. Or, l’image n’est pas
[page 10]
forcément un média, loin de là. Si c’est une image qui peut être vue, il s’agit d’un média. Mais il y a des images qui ne sont nullement des médias parce qu’on ne peut pas, ou que très difficilement, les voir. On vient d’évoquer la galère, mais on peut évoquer un cas tellement évident qu’on n’en parle jamais : c’est celui des coupoles des églises baroques. Vous avez à 45m au-dessus de votre tête toute une scénographie, mais vous ne la voyez pas ; vous ne voyez pas les figures. Quel est le statut de telles images ? Ces images-là fonctionnent comme un discours d’éloge, plus précisément d’action de grâce. Elles ne sont pas faites pour être vues, mais elles doivent être, exister, absolument. Les peintures et les programmes iconographiques destinés au prince ne cherchent pas toujours à persuader ceux qui les voient, et encore moins le prince. Certes, on ne doit pas exclure la flatterie. Mais il y a toujours des sceptiques qui, in petto, n’en pensent pas moins. Le prince lui-même ne doit pas être dupe. En fait, pour reprendre le distinguo des deux corps du roi, on s’adresse non à la personne réelle, mais à la personne idéale, le prince parfait qu’il doit être. La peinture fonctionne comme le panégyrique.
S. Édouard : D’où l’intérêt pour les historiens de se tourner non seulement vers l’histoire de l’art, mais aussi vers les études littéraires et vers une connaissance fine des procédés de rhétorique…
G. Sabatier : Le langage avec tous ses procédés, exactement. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre un processus langagier qui n’est pas fait de mots, mais d’images. Les ressorts de production, de réception et de fonctionnement, tout cela est très voisin.
C. zum Kolk : Vos réflexions et recherches aboutissent à une thèse d’état soutenue en 1995 et publiée en 1999 sous le titre Versailles ou la figure du roi [53]. Dans l’introduction vous retracez l’évolution des publications consacrées au château, des guides pour voyageurs du XVIIe et XVIIIe siècle aux premiers livres traitant Versailles comme un lieu d’histoire(s) : on raconte des évènements, souvent anecdotiques, qui se sont déroulés au château. Vers 1880 arrive un nouveau genre, marqué par les études des conservateurs du château et par Pierre de Nolhac qui avait pour ambition d’inscrire Versailles dans l’histoire de l’art. Le palais devient l’emblème du classicisme français, mais il n’est pas vraiment devenu un objet d’histoire. Vous citez Pierre Goubert : « Le grand public subit les parlottes sur le classicisme, cette illusion, sur Versailles, sa signification (le masque de fer, l’affaire des poisons, les maîtresses successives et simultanées et la politique de la grandeur…) [54] ».
G. Sabatier : Dans les années 1980-1990 quand j’ai écrit ce texte il n’y avait que ce type d’ouvrages - j’allais dire « problématiques », mais non puisque justement : il n’y avait pas de problématique. Il existait un vide quant à la fonction de Versailles.
C. zum Kolk : C’est un déficit qui ne concerne pas que Versailles, mais la cour dans son ensemble. Françoise Autrand avait fait le même constat pour la recherche française sur la cour du Moyen-âge : la cour était reléguée dans le domaine du privé et ne faisait pas partie de l’histoire "sérieuse", politique ; elle servit d’arrière-plan à des récits scabreux [55]… Vous observez le même phénomène.
G. Sabatier : Exactement. Il s’agissait du lieu privé du prince qui était à ce titre insignifiant (dans le sens de sans signification), c’est très vrai. Et l’étude de la cour en tant que formation politique et sociale n’existait pas.
[page 11]
Le programme apollinien à Versailles
C. zum Kolk : Vous entreprenez la réinsertion de Versailles dans l’histoire politique grâce à une relecture de l’iconographie du lieu, en commençant par le programme apollinien dans les jardins où il s’exprime dans une série de bosquets et de fontaines…
G. Sabatier : Oui, c’est un travail que je suis en train de reprendre pour l’exposition sur Le Nôtre et les usages du jardin qui aura lieu bientôt à Versailles [56].
Il y a eu différentes phases dans la construction de Versailles qui sont bien connues, leur interprétation l’est peut-être un peu moins. Il y a eu le temps du premier Versailles, autour du mythe d’Apollon. Ceci était d’une extrême banalité ; des « Roi-Soleil » ont existé chez les Espagnols et un peu partout en Europe, voir plus loin, dans des civilisations qui, n’étant pas en contact avec l’Europe, n’ont pas pu l’influencer (contrairement à des interprétations fantasmagoriques qu’on peut lire ou entendre à ce sujet).
Donc un premier temps apollinien. Pourquoi ce temps apollinien ? Il s’agissait de décrocher le roi d’une conjoncture historique qui expliquerait sa grandeur uniquement par des facteurs humains (« je suis le plus fort, donc c’est moi le roi ») et un événementiel trop aléatoire, voir douloureux, qu’il avait hérité de la Fronde. Ça se voit d’une façon évidente quand on étudie le passage entre les décors du Louvre et ceux de Versailles : les décors « historisants » du temps de la reine Anne d’Autriche font place au Roi-Soleil pour ne plus avoir à parler de la réalité historique immédiate. Cela se produit pendant une dizaine d’années où il n’est plus question d’une explication ou d’une représentation qui ramène à la contingence, mais où l’on situe d’emblée le roi dans l’empirée, dans le ciel. Ça n’est pas nouveau ; les Italiens l’ont toujours fait.
C. zum Kolk : Une autre raison que vous donnez est le fait que le roi « ne s’est pas fait connaître encore » [57]...
G. Sabatier : Oui, parce que nous sommes dans les années 1661-1662 au début du règne personnel où il faut publier un discours d’éloge sur le roi. Mais qu’est-ce qu’on peut dire d’un jeune prince qui ne s’est pas fait connaître, c’est-à-dire qui n’a pas fait la guerre (et gagné la guerre si possible), puisque la guerre est ce par quoi l’on se fait connaître ?
L’impatience de Louis XIV pour faire la guerre est connue ; voilà quelqu’un qui était extrêmement malheureux, comme il le dit lui-même dans ses Mémoires, car « tout était calme en tous lieux », quel désespoir absolu ! Donc, on va chercher Hercule, on va chercher Apollon… Dès qu’il commence à faire parler de lui, on assiste à l’abandon du discours apollinien qui est trop générique et que tout le monde emploie. C’est ce que j’ai établi, je pense, dans la généalogie de la Galerie des Glaces, où on projette d’abord une galerie d’Apollon, ensuite une galerie d’Hercule pour arriver finalement à la galerie où on voit apparaitre le roi lui-même.
C. zum Kolk : Les acteurs de l’époque avaient une conception assez traditionnelle de l’iconographie royale : Le Brun s’inspirait de Poussin et de ce qui se faisait en Italie ; Colbert a été lui aussi très « italianisant ». Vous démontrez que cela eut son importance, comme l’influence de la Petite Académie…
G. Sabatier : Tout à fait. La culture de ces gens est une culture héritée, procédant d’un vocabulaire formel que l’on répète, car il a fait ses preuves. Ils ont les manières et la culture de leur métier, la culture de ce qui se fait. Un seul discours éblouit à cette époque-là, c’est le discours italien, où la mythologie est toujours présente parce que la faiblesse factuelle des princes italiens ne peut être compensée que par l’hypertrophie des images, que ce soit à Rome ou chez les Médicis des années 1640 (qui ne sont pas ceux des années 1570-80).
[page 12]
C. zum Kolk : L’installation des bosquets ne répond pas à un ordre qui prend comme fil conducteur l’histoire d’Apollon, mais suit ce que vous appelez « le principe de proximité ».
G. Sabatier : Le principe de proximité commande le décor sculpté des façades et celui des cours qui répond aux fonctions des espaces intérieurs. Il y a un discours politique du côté Est du château, car c’est là qu’il y a la chambre du roi, le salon du conseil, etc. La statuaire devait se composer de bustes des empereurs antiques et des allégories du bon gouvernement. Du côté du jardin, c’est plutôt un discours d’éloges mythologique tel que l’avait imaginé Le Brun avant l’arrivée de Jules Hardouin-Mansart, notamment avec la grande commande de Colbert en 1674, qui devait prendre place autour et au centre des quatre bassins quadrilobes sur la terrasse. Très mythologique, le roi, c’est-à-dire Apollon, gouverne et commande à l’ordre du monde que ce soient les éléments, les tempéraments, les quatre continents... L’histoire d’Apollon devait s’organiser selon deux axes, celui est-ouest du cours de l’astre, et un autre nord-sud avec le combat contre le dragon. Les bosquets du nord furent les premiers aménagés, car en contrebas et du coté de l’arrivée des eaux, ce qui autorisait les jets et jeux d’eau, élément primordial des jardins à l’italienne.
Tout cela va être mis en question pour des raisons d’opportunité et de choix politico-esthétiques, assortis de questions de personnes. Le programme apollinien est abandonné et les installations réalisées bouleversées, lorsque le mythe, employé comme j’ai dit par défaut, n’est plus utile pour dire le roi. Louvois succède à Colbert à la surintendance, Hardouin-Mansart évince Le Brun et dans une certaine mesure Le Notre ; une esthétique « classique » et « française », pour dire vite, succède au baroque à la mode italienne. Dans les années 1680-90 arrive alors dans la création versaillaise un second temps qui va tout submerger : l’invasion de la romanité antique, avec l’arrivée d’Italie de centaines et de centaines de statues. La mission que les élèves français reçoivent lorsqu’ils vont à l’Académie de France à Rome, ce n’est nullement d’être des créateurs, mais plutôt des copistes. Ils copient à Rome les statues et tableaux que le roi voudrait bien avoir, mais qu’il ne peut pas acheter. C’est par centaines que les sculptures arrivent, et à ce moment-là, ce n’est plus le mythe apollinien, mais « Louis XIV Auguste ».
C. zum Kolk : Le tout dans un certain désordre : « Plus question de programme, mais la boulimie du collectionneur [58] ».
G. Sabatier : Voilà, mais l’essentiel, pour le roi, est ailleurs. Louis XIV a montré à partir des années 1665-70 qu’il était « le maître des eaux », c’est-à-dire celui qui était capable, grâce à ses ingénieurs, grâce à ses artisans, grâce à sa finance, de pouvoir faire jaillir sur un plateau sec ou marécageux, des jets d’eau à 25 mètres. Des statues, tout le monde en a, mais des jets d’eau à cette hauteur, il n’y a que lui qui les a. Le nec plus ultra, c’était de montrer la machine de Marly… Les jets d’eau de Versailles étaient la force de dissuasion de Louis XIV, comme la bombe atomique pour De Gaulle. La galerie des Glaces proclamait l’invincibilité du roi, les fontaines des jardins disaient la suprématie de ses ingénieurs et le caractère inépuisable de ses finances.
C. zum Kolk : On a fait de certains bosquets des interprétations erronées. Vous critiquez ainsi Nathan T. Whitman qui a soutenu en 1969 que la fontaine de Latone a été conçue comme une allégorie de la Fronde… thèse reprise ensuite par d’autres, dont Édouard Pommier et Robert W. Berger [59]…
G. Sabatier : Je me suis beaucoup intéressé à ce type d’interprétations et à ce qu’elles révèlent du mode de fonctionnement de certains exégètes. Il pouvait apparaître logique que l’art dise et énonce des vérités plus factuelles, plus politiques, plus opératoires, que simplement le mythe apollinien… D’une façon assez curieuse et amusante, ce souci de trouver une interprétation plus efficace et plus pointue ne vient pas des
[page 13]
milieux des historiens français ou européens, mais des historiens américains. Je pense à Whitman, mais il y a eu Mukerji [60], il y a eu Goldstein [61] et d’autres encore, qui ont proposé récemment des explications et des lectures du parc de Versailles comme s’ils disaient « Vous les Européens, n’êtes pas capables de prendre du champ et de dépasser ce que vous voyez ».
Concernant Whitman, l’idée était loin d’être stupide. Latone, amante de Jupiter, protège ses deux enfants, Apollon et Diane, de la fureur du serpent envoyé par Héra/ Junon et supplie Jupiter de châtier les paysans de Lycie qui ne voulaient pas les laisser boire... il est commode de voir là-dedans la punition des Frondeurs : Latone devient Anne d’Autriche, Apollon et Diane Louis et son frère Philippe, les paysans / batraciens les rebelles châtiés.
Je me suis élevé contre cette interprétation parce que le simple bon sens interdit de penser que Louis XIV ait voulu installer à l’emplacement le plus central de ses jardins le rappel de l’événement le plus humiliant de son enfance et le plus infâme pour la monarchie. On touche là une question de méthode. Parmi les hypothèses possibles, il faut écarter celles qui sont simplement impossibles du fait de l’univers mental du commanditaire. Ce qui implique qu’il faut s’appliquer à bien connaître cet univers, se mettre, d’une certaine façon, « à la place de ». Dans la galerie des Glaces - postérieure de 10 ans au groupe du jardin - l’évocation de la rébellion se fera toujours d’une manière triomphaliste.
C. zum Kolk : Vous donnez trois autres raisonnements pour soutenir votre critique. Le premier, c’est que le sujet de Latone et la punition des paysans est déjà présent dans l’iconographie royale avant Versailles - il existe déjà au XVIe siècle. Donc, pourquoi le rattacher à la Fronde ? Deuxième argument : la fontaine faisait partie d’un programme beaucoup plus vaste dont le sujet était la vie d’Apollon ; pourquoi interpréter à part un épisode de ce cycle ? Troisième raisonnement : le bassin de Latone de Versailles n’a jamais été interprété par les contemporains comme étant une allusion à la Fronde.
G. Sabatier : La troisième explication est peut-être celle qui pourrait porter le plus à discussions. Il y a un type de raisonnement particulièrement pernicieux qu’on ne trouve pas tellement chez Whitman mais plutôt chez Berger, mais aussi dans des interprétations plus récentes des jardins de Versailles, où l’on dit qu’il n’y a pas de texte, de document d’époque sur cela parce que c’était tellement indicible que personne ne pouvait en parler. On arrive alors à quelque chose d’étonnant : la preuve que ce qu’on avance est vrai, c’est justement qu’il n’y a pas de document. Et lorsqu’on demande « Sur quoi vous appuyez-vous pour dire ça ? » on vous répond « Mais malheureux ! Il ne peut pas y avoir de témoignage parce qu’on ne pouvait pas le dire ! ». C’est transférer dans la méthode historique un concept de la psychanalyse (?) : le tabou. La preuve par l’absence de preuve. D’autres explications récentes, de nature mystiques, ésotériques, maçonniques, posent comme préalable de se détourner de tout appareil documentaire pour découvrir le sens caché, les « mystères » de Versailles. Pourquoi pas, à condition de revendiquer comme personnelles ces « lectures », et ne pas en créditer les gens du XVIIe siècle, et encore moins Louis XIV !
C. zum Kolk : Vous avez corrigé une autre hypothèse qui concernait la symétrie des appartements du roi et de la reine ; d’après certains auteurs, cette symétrie était récente et liée à l’histoire politique de l’époque, la guerre de Dévolution faite au nom de la reine. Alors que cette symétrie existe depuis le Moyen-âge...
G. Sabatier : Tout à fait, sauf qu’au Louvre et dans d’autres châteaux elle n’est pas horizontale, mais verticale. Johnson développa l’idée que le double appartement dans le projet de Le Vau pour Versailles est la traduction architecturale d’une double monarchie qui serait née après la conquête des Pays-Bas espagnols [62]…
[page 14]
C. zum Kolk : On peut finir cette partie sur le programme apollinien avec les Grands Appartements, où on trouve du côté du roi comme du côté de la reine les salles des planètes.
G. Sabatier : Il n’y pas de mystère dans cette affaire-là. Le Brun travaille dans l’urgence, comme bien souvent. Il a beaucoup de chantiers sur les bras (non seulement royaux) et le roi est toujours pressé. Alors, il ne va pas réfléchir longtemps au programme. Le Brun a une mémoire visuelle pleine et savante. Que l’on prenne l’appartement, l’escalier ou la galerie, il y a une sorte de discours qui revient sans cesse parce qu’il n’a pas le temps de le reformuler. Les intellectuels, des gens comme Félibien, comme Perrault, vont ensuite donner du sens à quelque chose qui n’en avait pas forcément. Et se met en place un jeu subtil entre des créations qui sont finalement assez banales et un discours qui fait croire, car là aussi, on retombe sur le « faire croire ». Les gens de plume étaient experts dans le domaine du « faire voir, faire croire » (c’est le titre du livre d’Hélène Duccini sur l’époque de Richelieu et Louis XIII [63]). Après la reconstruction des Tuileries pour loger le roi et la cour pendant les travaux projetés au Louvre au début des années 1660, un décor apollinien assez banal fut réalisé très rapidement. Félibien lui invente une signification sophistiquée comme représentation des devoirs du courtisan envers le prince [64]. Les descriptions de Morelet, Piganiol de la Force et Jean François Félibien permettent de comprendre comment on passe d’un appartement des planètes à un portrait du roi (et de la reine) en forme d’énigme.
S. Édouard : Cela se rapproche de l’idée que la production de l’image est une chose, sa réception en est une autre, et, comme l’avait expliqué Hans Robert Jauss [65], la réception, c’est finalement une histoire d’appropriation…
C. zum Kolk : Le sens donné par les contemporains change. La grande Galerie est interprétée différemment au début du XVIIIe siècle qu’au XVIIe siècle…
S. Édouard : Ce qui nous renvoie à la culture de l’époque…
G. Sabatier : …et à des fonctionnements. Une des richesses de l’iconographie, et notamment de l’iconographie mythologique, c’est qu’on peut l’investir de plusieurs lectures successives.
Le roi auguste
C. zum Kolk : La deuxième période de cette fabrication de l’image est celle de l’apparition en personne de Louis XIV. Les dieux s’en vont, le roi apparaît. L’escalier des ambassadeurs introduit ce changement…
G. Sabatier : Oui, puisque dans les appartements du roi et de la reine on voit des princes et princesses de l’antiquité qu’il faut bien sûr décrypter comme étant des représentations de Louis XIV dans ses différents rôles : le roi guerrier, le roi chasseur, le roi maître de la diplomatie, le roi en protecteur des arts, etc. (c’est un peu plus difficile avec la reine Marie-Therese). C’est un jeu de devinettes qu’on pratiquait beaucoup à l’époque, et dans toutes les cours, ce n’est pas particulièrement énonciatif de Louis XIV. On assiste à l’apparition du roi dans l’escalier, ou mieux : d’une figure du roi, car si l’on regarde de près les gravures de l’époque, Louis XIV n’est pas tellement reconnaissable. Il ressemble à un jeune Alexandre (c’est l’époque où Le Brun peint l’histoire d’Alexandre) ; c’est dans la Grande Galerie qu’il est reconnaissable.
C. zum Kolk : Louis XIV apparaît en personne - il y a donc une histoire à raconter, le roi « s’est fait connaître ».
G. Sabatier : Oui, il y a une histoire, qui est d’ailleurs déjà racontée dans l’escalier : celle des premières années du règne et de la guerre de Hollande. On reprend souvent les mêmes scènes, les mêmes thèmes, que ce soit le passage du Rhin, ou des scènes de gouvernement (l’ordre rétabli dans les finances, la
[page 15]
protection accordée aux beaux-arts, la réformation de la justice…), mais les modalités de présentation changent. L’escalier présentait l’histoire du roi à l’antique, dans des panneaux en grisaille imités des reliefs de la colonne Trajane à Rome. En conformité avec la thématique apollinienne et l’espace, avec son mobilier d’argent et la tonalité lumineuse du lieu (les miroirs et les grandes baies), Le Brun esquisse d’abord un programme qui reprend celui de la galerie d’Apollon qu’il n’a pu achever au Louvre. Pas assez explicite, c’est ensuite un projet très abouti des travaux d’Hercule qui est à l’ordre du jour. Puis nouvelle rupture, non de programme, mais de mode de représentation.
C. zum Kolk : Le Conseil secret a joué un rôle important lors de la commande de l’ouvrage…
G. Sabatier : On n’y a pas accordé assez d’attention. Le Conseil secret, c’était l’instance la plus élevée des délibérations qui traitait des plus grandes affaires de l’État, et notamment des affaires étrangères. On discute à ce moment-là des suites à donner aux traités de Nimègue. C’est-à-dire qu’on se situe dans une conjoncture politique précise qui est le moment où le roi a réussi, après une guerre qui avait commencé rapidement, mais qui a fini difficilement, à imposer SA paix en Europe. Il faut le savoir si on veut comprendre la Galerie des Glaces et son discours. Il ne s’agit pas d’évoquer de manière générale la grandeur du roi, pas du tout. Quelle est la conjoncture ? Dans ces années-là, en 1678/79, le roi ne regarde plus du côté de l’Espagne qui perd de l’intérêt sur le plan politique (la succession d’Espagne n’est pas à l’ordre du jour puisque Charles II, certes débile, n’est pas mourant, et qu’on vient même de lui procurer une épouse française, une nièce de Louis XIV). Le roi regarde vers l’Allemagne, non pas pour devenir empereur (ni lui, ni son fils), mais pour détacher les princes allemands du giron des Habsbourg et établir une sorte de protectorat Bourbon.
D’après moi la Galerie des Glaces est faite pour faire passer aux princes allemands plusieurs messages. Le roi de France est le prince le plus puissant de la terre. En témoignent les hommages des ambassadeurs. C’est un prince sur qui l’on peut compter, fidèle à ses alliances et secourable, envers le Habsbourg par exemple, au moment où les Turcs l’attaquent sur le Saint-Gothard, ou envers les Hollandais, au moment où l’archevêque de Münster, un pion des Espagnols, les menace. Donc le roi, fidèle à ses alliances, va au secours de ses alliés. S’il doit faire la guerre, c’est toujours une guerre juste. Guerre de Dévolution en 1666 « pour les droits de la reine », guerre contre les Hollandais ingrats et jaloux (premier tableau de la grande série). Et cette guerre ne peut être que victorieuse. La leçon est : « Princes allemands, si vous voulez avoir un espace vital, ralliez-vous aux lys de France et tournez le dos au Habsbourg qui a tous les péchés du monde, et notamment le premier : il est faible. » Voyez le tableau central avec le jeune roi Louis XIV, débordant de puissance et de santé, les trois Grâces derrière lui, la France prospère et en paix à son coté ; et en face vous avez des espèces de spectres, à commencer par l’Allemagne, c’est-à-dire le Habsbourg, orgueilleux, mais assis sur un nuage ; l’Espagne qui ne tient sa puissance que du pillage de l’Amérique et la Hollande, bourgeoise enrichie qui ne tire sa force que du commerce… Par l’articulation d’un discours démonstratif, par l’outrance des images et la simplicité d’un vocabulaire sans mystère, la Galerie des Glaces rompt avec les programmes versaillais antérieurs ; on passe d’un discours d’éloge à une vraie propagande, effectivement.
C. zum Kolk : Vous décrivez ensuite la manière dont Louis XIV est présenté. Je cite quelques éléments : le roi est toujours éloigné des autres, jamais dans la presse. Il est vêtu à l’antique, porte une perruque, se tient immobile, le corps généralement fermé (donc les bras pas écartés). Le visage inexpressif, son regard ne porte sur personne en particulier, mais tout le monde le regarde… On a là ce que vous appelez « la représentation la plus parfaite de l’absolutisme ».
[page 16]
G. Sabatier : Je pense qu’il fallait construire en images un absolutisme qui était loin d’être réalisé dans les institutions et dans les rapports de force. Les historiens d’aujourd’hui ont bien montré que l’absolutisme n’était pas ce qu’on avait cru pendant longtemps : les parlements comptent, les grands féodaux comptent, les États de Bretagne, du Languedoc, etc. sont importants et ainsi de suite. L’absolutisme louis-quatorzien était d’une certaine façon un mythe. Alors ce mythe, ça s’est construit comment ? À coups de textes et d’iconographie, dont la Galerie des Glaces surtout. Et effectivement, Le Brun a pris un soin extrême à faire ce portrait du roi. Je crois avoir été le premier à faire ce type d’analyse pour Versailles, analyse qui a été reprise depuis. Mais après tout : un livre publié est public ; chacun peut s’en servir, à condition de le citer bien sûr…
À l’époque, j’avais travaillé d’une façon « histoire économique et sociale », d’une façon sérielle où j’avais comptabilisé le type de gestes, de postures, etc. On voit ainsi qu’il y a là un véritable système, ce n’est pas le fruit du hasard. On a une représentation du prince qui en soi n’est nullement une nouveauté ; on dira que l’empereur byzantin était représenté exactement de la même façon. J’ai suivi en cela ce que Labrot avait écrit sur les fresques de Caprarola et la manière dont on a représenté le prince au cœur de sa cour dans les années 1580. Mais il y a d’autres modèles, modèles contemporains. Un personnage clé est Bossuet parce que le tableau du prince que fait Bossuet dans ses enseignements au dauphin et sa Politique tirée de l’Écriture sainte [66] reflète très exactement la manière dont Le Brun représente le roi dans la galerie. La rédaction de ces textes à la fin des années 1670 correspond au schéma chronologique de la Galerie de Versailles. Il est à peu près certain qu’il y a eu des échanges entre Le Brun et Bossuet (ou son entourage). Là non plus, je ne trouverais pas d’écrits, mais tellement de confluences entre la manière dont c’est écrit et la manière dont c’est représenté.
Une société de cour européenne ? Influences et évolution
C. zum Kolk : Vous émettez dans votre livre l’hypothèse que cette manière de représenter le prince pourrait venir de l’Espagne et vous avez approfondi cette question et celle des rapports franco-espagnols à l’époque moderne ensuite par plusieurs publications, dont une en collaboration avec Sylvène [67]. Que peut-on dire de l’influence espagnole sur la cour de France ?
G. Sabatier : Il y eut un modèle unique qui est la cour de Bourgogne au XVe siècle. De cette cour vont sortir la cour de France et la cour des Habsbourg d’Espagne. Charles Quint a été élevé à la cour de Bourgogne qui n’était plus à Dijon, mais en Flandre ou à Bruxelles. Les usages de cette cour sont connus : l’économie des gestes, l’hiératisme, la représentation frontale dans les portraits, les manières de se présenter… Ceci est introduit en Espagne par Charles Quint lorsqu’il écrit à la cour de Madrid en 1548 de pratiquer l’étiquette de Bourgogne à l’Alcazar.
S. Édouard : Mais l’étiquette de Castille est déjà très rigoureuse et l’étiquette de Bourgogne ne fait qu’augmenter le nombre de serviteurs. La distance existait déjà auparavant dans le cérémonial castillan.
G. Sabatier : D’autant plus que ce cérémonial castillan et ibérique se nourrissait de ce qui existait avant ; les principautés musulmanes connaissaient ces comportements qui eux-mêmes remontaient aux Byzantins… S’il est difficile de faire la relation entre les Byzantins et Louis XIV, on peut la faire à la périphérie : on sait bien que les princes musulmans ont été nourris du modèle byzantin, ils l’ont exporté, ils l’ont pratiqué eux-mêmes en Espagne. Le retrait, la dissimulation du prince sont des pratiques musulmanes, avec ces dispositifs en clairevoie que sont les moucharabiehs. Les ancêtres ibériques de
[page 17]
Charles Quint avaient été fascinés par cette civilisation musulmane et quand Charles Quint a dû débarquer des Flandres dans l’Espagne du début du XVIe siècle, ça a dû être un choc extraordinaire, car on était là dans un monde musulman. Donc effectivement, d’un côté les Bourguignons et d’un autre côté cet héritage byzantin médiatisé par l’islam faisaient qu’à la cour d’Espagne il y avait ce comportement si particulier de l’isolement du prince, de l’hiératisme, de l’immobilité absolue en présence des ambassadeurs.
J’ai coordonné un livre avec Margarita Torrione dans la collection Aulica du Centre de Recherche du Château de Versailles : Louis XIV espagnol ? [68], car bien sûr il était espagnol, comment aurait-il fait pour ne pas être espagnol ? Philippe III était son grand-père, Philippe II son arrière grand-père… Mais plus que le sang comptaient le prestige de la cour d’Espagne, le modèle de la sociabilité de cour et de comportement du prince. La France ne pouvait rester à l’écart. Mais la codification des conduites royales et courtisanes ne date pas de Louis XIV. Bien évidemment, il y eut d’autres influences et apports, au premier rang les cours pontificales et princières italiennes.
C. zum Kolk : Vous avez parlé à plusieurs reprises de l’importance des Jésuites pour la représentation du prince. Un colloque s’est tenu au sujet de Claude François Ménestrier [69].
G. Sabatier : Mon intérêt pour Ménestrier est, si l’on veut, personnel, car il a exercé à Lyon et à Grenoble… Mais plus sérieusement, Ménestrier et les Jésuites ont été à l’époque de Louis XIV l’autre grand centre de fabrication des images. Je dis « l’autre » parce qu’il y avait en face les gens du roi. Les deux groupes antagonistes étaient des scénaristes, des organisateurs de spectacles, des inspirateurs d’iconographie, mais poursuivant des buts qui n’étaient pas les mêmes et qui les ont souvent mis en conflit : d’un côté Ménestrier et les Jésuites, de l’autre côté Le Brun, la Petite Académie, l’abbé Tallemant, Bérain, qui se sont parfois livré une guerre assez farouche. Ménestrier a été un élément extrêmement important au temps de Louis XIV. Tout jeune, c’est lui qui est chargé d’organiser les spectacles qui accueillent le roi et la famille royale à Lyon, lors de l’épisode du mariage savoyard. Ensuite il va être producteur, d’une fécondité extraordinaire, de projets de médailles (alors que les médailles sont le fait de la Petite Académie et la grande mortification de Ménestrier sera effectivement de n’avoir été qu’un fabricant d’images sans que ses médailles soient réalisées). Ses livres étaient très diffusés et le public était nourri des innombrables représentations du roi qu’il avait produites. Ce fut aussi un scénographe extraordinaire, mettant en scène aussi bien des entrées, des mariages, et des funérailles, des inaugurations de statues, des fêtes pour la paix, et bien sûr tous les spectacles commandités par les Jésuites. C’est un homme capital et le roi lui a toujours fait très bon accueil.
À la fin de ma période grenobloise en 2005 j’ai voulu qu’il y ait un colloque à lui dédié. C’était l’année du tricentenaire de sa mort. On a organisé à Grenoble et à Lyon trois journées sur l’apport personnel de Ménestrier, et sur la pratique générale des images par les Jésuites, pratique religieuse et politique.
C. zum Kolk : Dans le cadre de votre collaboration avec le Centre de Recherche du Château de Versailles vous avez piloté un autre projet, consacré aux funérailles princières.
G. Sabatier : Pourquoi je me suis intéressé aux funérailles royales ? C’est un peu comme finalement les choses se sont produites tout au long de mon existence, par une série de rencontres disons providentielles et amicales. J’étais toujours en relation avec Juliusz Chrościcki [70] que j’avais rencontré au moment des sessions sur l’origine de l’État moderne, il y a de ça trente ans. Par l’intermédiaire d’Hendrik Ziegler, autre familier de Louis XIV et de Versailles [71], j’ai rencontré Mark Hengerer [72] ; on s’est retrouvé en Pologne, en Allemagne, on fait un voyage à Cracovie, un voyage en Souabe… et on s’est dit que ce serait merveilleux
[page 18]
si on pouvait faire quelque chose sur les funérailles. Chrościcki avait fait sa thèse sur les Castrum Doloris, les catafalques, en Pologne.
Pourquoi travailler sur des funérailles ? Parce qu’on s’est rendu compte que les funérailles princières, du XVIe au XVIIIe siècle, prenaient une ampleur considérable. Par exemple, c’est à Saint-Denis que le roi de France est enterré, mais dans les mois qui suivent, des cérémonies ont lieu un peu partout en France, voire hors de France, pour commémorer sa disparition. Il en est de même pour tous les autres souverains en Europe. D’autre part, ces cérémonies deviennent de plus en plus des cérémonies de cour, et les courtisans y jouent un rôle de plus en plus important alors que se produit une rupture avec la société civile, comme on dit maintenant. Les grands cortèges qui traversent les capitales cessent au milieu du XVIIe siècle ; la mort du roi se privatise dans le sens où on ne convie plus la Nation toute entière. On enterre le prince dans un faste où la cour est de plus en plus seule représentée, avec les officiers du défunt. Les cérémonies funéraires deviennent le type même des cérémonies de cour, ce sont en France au XVIIIe siècle les cérémonies les plus coûteuses, mobilisant le département des Menus-Plaisirs et tous les gens du roi pour réaliser des décors et pour assister aux funérailles.
Les funérailles royales devenaient un élément fondamental de la société de cour, raison pour laquelle le sujet intéressait le CRCV. Nous n’avons voulu travailler ni sur l’aspect anthropologique (la transmission du pouvoir), ni sur l’aspect relevant de l’histoire de l’art, mais on a quand même fait un colloque sur les catafalques et des tombeaux. Nous avons souhaité étudier ces funérailles comme relevant d’une stratégie royale et curiale dans la compétition internationale entre les grands princes au cours des XVIIe-XVIIIe siècles.
S. Édouard : C’est une lecture moins institutionnelle que celle des cérémonialistes américains dont tu déplorais souvent les limites…
G. Sabatier : Tout à fait. Cette étude embrasse chronologiquement trois siècles et spatialement toute l’Europe : l’Europe absolutiste et l’Europe qui ne l’est pas, le modèle français et le modèle habsbourgeois, le modèle protestant et le modèle catholique. Et on s’aperçoit que ça fonctionnait souvent de façon très différente d’un pays à l’autre ; il fallait revenir sur la lecture très systémique de Giesey et des cérémonialistes américains où les funérailles auraient été le vecteur pour visualiser quelque chose qui relève du droit et du constitutionnel. Ce que Giesey considérait comme un monopole royal ne l’était pas, et ce sont les travaux de Monique Chatenet [73], Murielle Gaude-Ferragu [74] ou Élisabeth Brown [75] entre autres, qui montrent que de telles pratiques ne caractérisaient pas l’homme, mais l’homme et la femme, et pas seulement le roi, mais le roi et beaucoup d’autres grands, jusqu’à un évêque, l’évêque d’Amboise, qui a eu aussi son effigie. On était quand même assez loin des deux corps du roi.
On ne voulait pas reprendre la discussion à propos de Giesey, mais l’amplifier et on a fait trois colloques, puis trois ouvrages qui sont en cours de publication : le premier sur les rituels (il est paru [76]), le deuxième sur les tombeaux et les catafalques (il va paraître dans quelques mois) et le troisième sur la réception à l’époque.
S. Édouard : Cela rappelle ce que tu as dit dans plusieurs articles, dont Versailles, un imaginaire politique : l’image ne vaut que par les textes qui en donnent des lectures autorisées. Méthodologiquement, il faut se tenir aux lectures de textes qui autorisent une interprétation ; ce qui se situe en dehors n’est plus que conjecture. Mais je voulais revenir sur la lecture politique du corps et la sacralisation du prince à travers la monstration de son corps tout-puissant. Tu as travaillé en particulier sur la jambe du roi [77] ; qu’est-ce qui a provoqué cet intérêt (évidemment purement iconographique) pour la jambe du roi ?
[page 19]
G. Sabatier : La sacralisation est un thème tellement complexe que je ne sais pas trop comment l’aborder et en parler. D’abord, pour qu’il y ait désacralisation, il faut qu’il ait sacralisation. Alain Boureau s’oppose fermement à cette idée. [78]. Pour les théologiens catholiques (Boureau est un spécialiste de théologie), le corps du roi n’est pas sacré. Pour les Français du temps de Louis XIV, qui ne sont pas des théologiens, le corps du roi était peut-être sacré… Pas une sacralisation sacramentelle, une sacralisation « anthropologique », je ne sais pas comment l’appeler, vécue et ressentie telle quelle dans les mentalités.
Pour s’en tenir à l’histoire de la jambe : ce qui m’a intrigué, c’est qu’à partir d’un certain moment, cette partie du corps du roi est exhibée quasiment systématiquement dans l’iconographie, pour aboutir à cette icône qu’est le Louis XIV de Rigaud avec ces longues jambes, qui est la chose qui frappe le plus, cette silhouette magnifique d’élégance contrastant avec ce visage d’un homme qui accuse ici son âge (la tête est peinte sur une toile rapportée). Si on fait l’archéologie de cette image, on voit comment cette jambe du roi est apparue progressivement. Pourquoi ? Il faut que le corps du roi soit beau. Quand Louis XIV est vieux et qu’il a la goutte, qu’il est promené à Versailles en fauteuil roulant, on peut poser la question s’il est encore le roi. C’est à ce moment-là que Rigaud peint ce portrait magnifique. Dans mon étude, j’essaie de démontrer le rapport entre ce portrait et la représentation de certains dieux (par exemple Jupiter) ou des empereurs romains qui sont représentés avec des justaucorps qui laissent une partie de la jambe dénudée. On fait ressembler le roi à un empereur romain, ou éventuellement à un dieu. Cette esthétique de la jambe exhibée s’explique aussi par le costume de cérémonie porté par les titulaires de l’ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III. C’est le costume de cour de ce temps. Et la beauté du corps du roi est en même temps l’emblème de sa beauté intérieure…
S. Édouard : Ce qui est beau est bon…
G. Sabatier : Voilà, il est la perfection. Ensuite on est prisonnier de ce modèle qu’on va reproduire à l’infini, non seulement en France, mais partout en Europe. Charles II d’Angleterre se fait représenter ainsi et les ducs de Savoie exhibent leur jambe à travers tout le XVIIIe siècle. Cela devient difficile pour Louis XVI, trop pesant pour être élégant, et franchement contre-productif pour Louis XVIII. Fort heureusement, à partir de Louis-Philippe on porte des pantalons et l’affaire est réglée. Bref, je pense que ce modèle procède de l’iconographie et je m’élève contre les interprétations de Sergio Bertelli [79] qui utilise là des sources qui sont à mon avis conjoncturelles. Et toute cette lecture sexuée… Je n’y vois pas non plus une lecture peut-être « espagnole » où l’on télescope genou et baisemain et où on parle du rite d’embrasser le genou du roi. Le baisemain est espagnol (musulman auparavant), il n’est absolument pas français. Dans l’hommage, le vassal met ses pouces dans les deux mains jointes du suzerain. Jamais on n’a embrassé le genou du roi, sauf dans les tragédies de Racine... Donc, ce qui m’intéresse là aussi c’est : qu’est-ce qui est possible et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Il y a des lectures qui ne sont pas possibles dans la culture française du XVIIe siècle. Une lecture juste ne peut procéder que des legs iconographiques accumulés.
C. zum Kolk : Quels sont vos projets actuels ?
G. Sabatier : Versailles ou la figure du roi n’est plus en librairie depuis longtemps. C’était ma thèse d’état, et elle a été écrite il y a presque vingt ans. Je travaille à un nouveau livre qui tiendra compte des restaurations et études très importantes menées ces dernières années, et qui sera plus accessible au grand public. Mais la perspective reste la même : lecture politique de Versailles, fonctionnement - et dysfonctionnement - de son iconographie, peinture et sculpture. Il s’appellera Versailles ou la disgrâce
[page 20]
d’Apollon, ce qui intriguera pour la demeure du Roi-Soleil, et traitera de la pertinence - ou de la perte de pertinence - du discours mythologique à Versailles.
L’autre projet, dans la suite de nos colloques et publications sur les funérailles princières, est la commémoration en 2015 de la mort de Louis XIV, l’année de son tricentenaire.
C. zum Kolk : Quels seraient vos desiderata en ce qui concerne la recherche actuelle au sujet de la cour ou de la représentation politique ? Quels seront les sujets à creuser ? Qu’est-ce qui manque aujourd’hui ?
G. Sabatier : Pour ce qui est de la cour de France, je pense qu’une étude approfondie des textes et des rituels à la manière de ce qu’ont fait les Espagnols et les Autrichiens n’est pas encore faite. On n’a pas de publications, ni de textes, ni d’études. Il faut qu’on travaille sur les rituels et d’autre part les personnels, bien évidemment. Il faut prendre en compte les lieux, l’articulation entre la topographie et l’usage des lieux. Newton a établi l’historique de l’attribution précise de chacun [80], Mathieu Da Vinha a étudié les personnels et les usages de Versailles [81]. Mais il manque pour Versailles un travail comme celui que Monique Chatenet a réalisé pour les demeures royales du XVIe siècle. Le récent colloque sur Marly a montré que Versailles n’était pas un lieu hégémonique, que Marly était aussi un lieu de pouvoir et que la gouvernance s’y pratiquait différemment. D’autre part il faut multiplier les travaux comparatistes avec les autres cours européennes. Les thuriféraires de Louis XIV avaient fait croire qu’il était le plus grand roi du monde, et il s’en trouve qui le pensent encore. Mais Philippe IV était "le roi-planète", Léopold sol austriacus.
C. zum Kolk : Je vous remercie pour cet entretien.
Articles de Gérard Sabatier recensés sur Cour de France.fr
Notes
[1] Créée en 1958 par Anne d’Amodio, l’association Vieilles Maisons Françaises se consacre à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti et paysager. Elle rassemble près de 18 000 adhérents, propriétaires ou passionnés, au sein de 95 délégations départementales. (source : http://www.vmfpatrimoine.org/).
[2] Monique Chatenet, historienne de l’art, conservateur en chef du Patrimoine au Centre André Chastel (CNRS Paris), spécialiste de l’architecture et de la cour de France au XVIe siècle. Parmis ses publications voir Le Château de Madrid au bois de Boulogne : sa place dans les rapports franco-italiens autour de 1530 (1987), « Une demeure royale au XVIe siècle. La distribution des espaces au château de Saint-Germain-en-Laye. », in Revue de l’art, n° 81, 1988, Chambord (2001), La cour de France au XVIe siècle. Vie sociale et architecture (2002) et Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, avec P.-G. Girault (2010). Voir aussi l’Entretien avec Monique Chatenet publié sur Cour de France.fr.
[3] Joseph Hours, (1896 - 1963), professeur de lycée à Toulon et à Lyon. Résistant, il fait partie du petit groupe qui édite clandestinement de 1940 à 1944 les Cahiers du Témoignage Chrétien et figure parmi les fondateurs du Mouvement républicain populaire, parti politique démocrate-chrétien et centriste (1944). Parmi ses publications (livres et articles) voir Œuvre et pensée du peuple français (1945), Le mouvement ouvrier français (1951), Le chrétien devant la patrie (1957), L’Université dans la Nation (1959).
[4] Bernard Hours, professeur d’histoire moderne à l’université Jean Moulin-Lyon 3 et directeur du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA, UMR 5190). Ses recherches portent sur les congrégations religieuses féminines et la politique et la religion à la cour de France. Parmi ses ouvrages majeurs figurent Madame Louise, princesse au Carmel, (1987) ; Louis XV et sa cour. Le roi, l’étiquette et le courtisan (2002 – voir le compte rendu de Stanis Perez) ; La vertu et le secret (2006) ; Louis XV - Un portrait (2009).
[5] Marcel-Pierre Pacaut (1920-2002), professeur d’histoire médiévale à l’université de Lyon 2, spécialiste de l’histoire du christianisme, des institutions et du pouvoir au Moyen Âge ; voir entre autres Alexandre III, étude sur la conception du pouvoir pontifical dans sa pensée et dans son œuvre (1956) ; Frédéric Barberousse (1967) ; Jean Gerson et l’assemblée de Vincennes, 1329 (1978) ; Louis VII et les élections épiscopales dans le royaume de France (1957) ; L’Ordre de Cluny (1986).
[6] Marcel Le Glay (1920-1992), historien et archéologue, spécialiste de l’histoire romaine en Afrique du Nord. Enseigne au lycée Bugeaud puis à l’université d’Alger jusqu’en 1961. Chargé d’enseignement, puis professeur aux universités de Lyon 3, de Nanterre et de Paris IV-Sorbonne ; directeur des Antiquités de la région Rhône-Alpes de 1963 à 1973. Publications majeures : Saturne africain (thèse, 1961 et 1966) ; La religion romaine (1972) ; Villes, temples et sanctuaires de l’Orient romain (1986) ; Rome, grandeur et déclin de la République (1989) ; Rome, grandeur et chute de l’Empire (1992)
[7] Pierre Vidal-Naquet (1930-2006), historien, spécialiste de la Grèce antique, professeur à l’université de Caen et de Lille, puis directeur d’études à l’ EHESS. Historien engagé, ses publications portent non seulement sur la Grèce antique, mais aussi la Shoah, la Résistance et la guerre d’Algérie.
8 Richard Gascon (1913-1982), historien, professeur à l’université de Lyon 2. Spécialiste de l’histoire économique et sociale ainsi que de l’histoire de Lyon. Co-fondateur du Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise avec Pierre Léon et René Fédou en 1964 (devenu Centre Pierre Léon, puis une composante du LARHRA). Parmi ses ouvrages majeurs figurent Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle : Lyon et ses marchands (environs de 1520 - environs de 1580) (1971) et, avec Pierre Chaunu, Histoire économique et sociale de la France (1977).
[9] Pierre Léon (1914-1976), spécialiste de l’histoire économique, professeur à l’université de Lyon (1952-1970) et à la Sorbonne (1970-1976), élève de Marc Bloch et d’Ernest Labrousse dont il était un des premiers thésards. Son doctorat, La Naissance de la grande industrie en Dauphiné (fin du XVIIe siècle-1869), est la première grande étude économique d’une région (1954). P. Léon fonde avec Richard Gascon et René Fédou en 1964 le Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise qui prit après sa mort le nom de Centre Pierre Léon (voir note 12). Parmi ses publications majeures voir La naissance de la grande industrie en Dauphiné (thèse, 1954) ; Marchands et spéculateurs dauphinois dans le monde antillais du XVIIIe siècle (1963) ; Aires et structures du commerce français au XVIIIe siècle (1968) ; Histoire économique et sociale du monde (1970-1978) ; Géographie de la fortune et structures sociales à Lyon au XIXe siècle (1974).
[10] La Naissance de la grande industrie en Dauphiné (fin du XVIIe siècle-1869) (voir note précédente).
[11] André Latreille (1901-1984), historien spécialiste de l’histoire religieuse de l’époque révolutionnaire et impériale. Professeur à l’université de Poitiers et de Lyon 2, critique redouté d’ouvrages historiques pour le journal Le Monde, fondateur des Cahiers d’histoire et du Centre interuniversitaire d’études religieuses (avec Xavier de Montclos). Publications majeures : Napoléon et le Saint-Siège (thèse, 1935) ; La Révolution française et l’Église catholique (1946-1950) et L’Ère napoléonienne (1974).
[12] Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise fondé par Pierre Léon, Richard Gascon et René Fédou en 1964. Issu d’un groupe de travail consacré à l’étude sur la longue durée (XIVe – XIXe siècle) de la région lyonnaise, ce centre a été organisé sans hiérarchie interne et lié par des coopérations aux facultés de Genève, Nanterre et Caen. Cinq grandes enquêtes étaient conduites à partir de 1965 : quatre concernaient Lyon et sa population à la fin du Moyen âge, une la noblesse régionale. Le centre est actuellement une des composantes du LARHRA. La coupure épistémologique était aussi politique : autour de Léon gravitaient des disciples de sensibilité de gauche ; Latreille regroupait une « clientèle » plutôt catholique et de droite, tendance MRP[[Mouvement républicain populaire (voir note 3).
[13] Le diplôme d’études supérieures a existé de 1894 à 1966, année où il fut remplacé par le Certificat d’Études supérieures. Il se préparait après la licence et validait une initiation aux techniques de recherche. Le diplôme était indispensable pour se présenter au concours de l’agrégation.
[14] Deux thèses qui témoignent de l’envergure prise en ces années par l’histoire économique et sociale prônée par l’École des Annales qui s’est installée à l’EPHE dont la 6e section a été fondée et dirigée d’abord par Lucien Febvre, puis par Fernand Braudel (à partir de 1956). Section qui devient autonome en 1975 sous le nom d’EHESS. Les thèses citées sont Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730 de Pierre Goubert, directeur d’études à l’EPHE au moment de la soutenance (1958), et d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, thèse soutenue à la VIe section de l’EPHE en 1966.
[15] Pierre Goubert, Un parcours d’historien. Souvenirs 1915-1995, Paris, Fayard, 1996, p. 122.
[16] Yves Lequin, spécialiste de la classe ouvrière et de l’histoire des sociétés industrielles et urbaines, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lyon II. Sa thèse portait sur Les ouvriers de la région lyonnaise 1848-1914 (publiée en 1977).
[17] Gilbert Garrier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lyon II. Sa thèse, soutenue en 1971, portait sur les Paysans du Beaujolais et du Lyonnais, 1800-1970.
[18] Maurice Garden, historien spécialiste de l’histoire urbaine au XVIIIe siècle, professeur à l’université de Lyon 2 et à l’ENS de Cachan. Ancien vice-président de l’université de Lyon 2, puis chargé de la recherche universitaire et des études doctorales (1997-1999) et concepteur de la réforme des Écoles Doctorales. Directeur de l’ACI (Action Concertée Incitative) du réseau des Maisons des Sciences de l’Homme et membre du précédent Conseil d’Orientation Scientifique du réseau des MSH. Parmi ses publications majeures voir Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, (thèse, 1970) ; Habiter la Ville. XVe-XXe siècles (1985) et, avec René Favier et Laurence Fontaine : Un historien dans la ville (2008).
[19] Une économie et une société en crise : L’Emblavès au début du XVIIIe siècle1695-1735. Publié dans un ouvrage collectif sous la direction de Pierre Léon : Structures économiques et problèmes sociaux du monde rural dans la France du Sud-est ( fin XVIIe siècle -1835), Paris, Les Belles Lettres, 1966.
[20] Thèse non soutenue. Lavalamblavès au début du XVIIIe siècle et cinq autres études ont été publiés sous le titre Le vicomte assailli. Économie rurale, seigneurie et affrontements sociaux en Languedoc des montagnes (Velay, Vivarais Gévaudan), aux XVIIe et XVIIIe siècles, Centre d’Étude de la Vallée de la Borne, 1988, 449 p., avec une préface de Pierre Goubert.
[21] Bernard Bonnin (1927-), historien, spécialiste du monde rural. Auteur de La terre et les paysans en Dauphiné au XVIIe siècle (thèse sous la direction de Pierre Léon, 1979) ; La France au XVIIe siècle (1969).
[22] Albert Soboul (1914-1982), historien spécialiste de la Révolution française. Professeur d’histoire à l’université de Clermont-Ferrand et à partir de 1967 à la Sorbonne. Historien engagé et ouvert à l’histoire marxiste, Soboul a publié un grand nombre d’ouvrages sur la Révolution dont Les sans-culottes parisiens en l’an II. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire, 2 juin 1793-9 thermidor an II (thèse de doctorat, 1958) ; La Civilisation et la Révolution française. La crise de l’Ancien Régime (1970) et Problèmes paysans de la Révolution (1789-1848) (1983).
[23] Roland Mousnier (1907-1993), historien spécialiste de l’État et des mouvements populaires à l’époque moderne, professeur à l’université de Strasbourg et à la Sorbonne. Mousnier avait gardé ses distances avec l’école des Annales tout en s’inspirant de ses méthodes : ses études prosopographiques lui permirent d’identifier des problématiques nouvelles, dont celle du clientélisme. Hostile à l’histoire marxiste, il entra dans une querelle avec l’historien soviétique Boris Porchnev au sujet des révoltes populaires et lança un projet de recherche à ce sujet. Mousnier oppose à l’idée d’une société marquée par la lutte des classes une société structurée par les ordres. Parmi ses ouvrages majeurs figurent La Vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII (thèse, 1945), L’Assassinat d’Henri IV (1964) ; Fureurs paysannes : les paysans dans les révoltes du XVIIe siècle (France, Russie, Chine) (1968) ; Les Hiérarchies sociales de 1450 à nos jours (1969) ; Les Institutions de la France sous la monarchie absolue, 1598-1789 (1947-1980) ; L’Homme rouge ou la vie du cardinal de Richelieu (1992).
[24] Le 10 mai 1974 eut lieu le premier débat télévisé des candidats du second tour de l’élection présidentielle, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand.
[25] Peter Burke, The fabrication of Louis XIV, Yale University Press, 1992 ; publié en France sous le titre Louis XIV : les stratégies de la gloire, Paris, Seuil, 1995.
[26] Gérard Labrot (1936-), historien d’art spécialiste de Naples à l’époque moderne. Publications majeures : Un instrument polémique, l’image de Rome au temps du schisme : 1534-1667 (thèse, 1978) ; L’image de Rome. Une arme pour la Contre-réforme (1534-1677) (1987) ; Études napolitaines : villages, palais, collections : XVIe-XVIIIe siècles (1993) ; Quand l’histoire murmure. Villages et campagnes du royaume de Naples. XVIe - XVIIIe siècle, (1995) ; Sisyphes chrétiens. La longue patience des évêques bâtisseurs du Royaume de Naples (1590-1760) (1999) ; Peinture et société à Naples (XVIe-XVIIIe siècles) : Commandes, collections, marchés (2010).
[27] Pierre A. E. G. Francastel (1900-1970), historien d’art et personnage emblématique de la sociologie de l’art. Sa thèse portait sur la sculpture du château de Versailles. Il fut ensuite professeur à l’Institut français de Varsovie et à l’université de Strasbourg, conseiller culturel à l’ambassade de France en Pologne et, à partir de 1948, directeur d’études en sociologie des arts plastiques à la VIe section de l’EPHE. Francastel est un des premiers à introduire en France l’analyse de l’œuvre d’art en prenant en compte le contexte social, politique et religieux de sa production, méthode développée (entre autres) au début des années vingt par Aby Warburg. Parmi ses ouvrages majeurs voir Art et Sociologie (1948), Peinture et Société (1951).
[28] Le Palais Farnèse de Caprarola : essai de lecture, Paris, Klincksieck, 1970.
[29] Daniel Roche (1935-) spécialiste de l’histoire culturelle et sociale de la France d’Ancien régime, professeur aux universités de Paris VII et I, puis au Collège de France.
[30] Situé à 15 km au sud de Grenoble, le Musée de la Révolution française est installé depuis 1984 dans le château de Vizille, ancienne demeure d’été des ducs de Lesdiguières où se tint en 1788 l’assemblée qui fut à l’origine de la convocation des états généraux, prélude à la Révolution française.
[31] Philippe Bordes, professeur à l’université de Lyon 2, spécialiste de l’art de l’époque de la Révolution et de l’Empire, directeur du musée de la Révolution française de 1984 à 1996. Principales publications : Le Serment du Jeu de Paume de Jacques –Louis David (1983), Aux armes et aux arts( avec P. Arizzoli-Clementel et R. Michel, 1988), Jacques-Louis David, Empire to Exile (2005).
[32] Vizille, Musée de la Révolution Française, juin-septembre 1987 ; Paris, Archives Nationales, Musée de l’Histoire de France, novembre 1987-janvier 1988. Catalogue par Gérard Sabatier, Aux armes citoyens ! Les sabres à emblèmes de la Révolution. Vizille, Musée de la Révolution Française, 1987.
[33] Lyon, Bibliothèque municipale de la Part-Dieu, 26 avril-17 juillet 1989 ; Grenoble, Archives départementales de l’Isère, novembre 1989-janvier 1990.
[34] Voir sur l’ATP Genèse de l’État moderne l’article de Jean-Philippe Genêt « La genèse de l’État moderne. Les enjeux d’un programme de recherche », dans Actes de la recherche en sciences sociales, année 1997, volume 118, n° 1, p. 3-18.
[35] Équipe n° 34 : Étude des programmes iconographiques étatiques en France et en Italie aux XVe et XVIIe siècles. Figurer l’État.
[36] Dirigée par Anne-Marie Lecoq, ingénieur de recherche au Collège de France dans le cadre de la chaire d’histoire de l’art médiévale et moderne, l’équipe n° 3 était intitulée Études sur la mise en scène de la personne royale au XVIe siècle (1484-1610).
[37] Daniel Arasse (1944-2003), historien de l’art, spécialiste de l’Italie de la Renaissance, thésard d’abord d’André Chastel, puis de Louis Marin. Membre de l’École française de Rome puis directeur de l’Institut français de Florence et directeur d’étude à l’EHESS à partir de 1993. Parmi ses publications majeures figurent L’Homme en perspective. Les primitifs d’Italie (1978), La Guillotine et l’Imaginaire de la terreur (1987), Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), L’Ambition de Vermeer (1993), Le Sujet dans le tableau. Essais d’iconographie analytique (1997).
[38] Sergio Bertelli (1928-), historien, professeur à la faculté de science politique de Pérouges, puis de lettre à l’université de Florence. Voir entre autres Il potere oligarchico nello stato-citta medievale, Firenze, 1978 ; Il libertinismo in Europa, Milano-Napoli, 1980 ; Il corpo del re : sacralità del potere nell’Europa medievale e moderna, Firenze, 1990 ; Il re, la vergine, la sposa : eros, maternita e potere nella cultura figurativa europea, 2002.
[39] Louis Marin (1931-1992) philosophe, historien et sémiologue, spécialiste de l’analyse politique de la représentation. Devient après de longs séjours à l’étranger dans les années 60 et 70 (Turquie, Angleterre, USA) professeur à l’EHESS et directeur du Centre de recherche sur les arts et le langage. Parmi ses ouvrages majeurs voir La Critique du discours (thèse, 1975), Le récit est un piège (1978), Le Portrait du roi (1981), La Parole mangée et autres essais théologico-politiques (1986), Opacité de la peinture. Essais sur la représentation en Quattrocento (1989), De la représentation (1993).
[40] « Rappresentare il principe, Figurer l’État. Les programmes iconographiques d’État en France et en Italie du XVe au XVIIe siècle » dans J. P. Genêt (éd.), Genèse de l’État moderne. Bilans et perspectives. Paris, 19-20 septembre 1988, Paris, CNRS, 1990, p. 247-258.
[41] Ouvrage édité par Allan Ellenius, éd. anglaise Oxford University Press, 1998, éd. française PUF 2001. Pour plus d’information, voir l’article de J. P. Genêt sur l’histoire du programme (note 36).
[42] L’école cérémonialiste américaine est née autour d’Ernst Kantorowicz qui a publié en 1957 un ouvrage qui déclenche un grand nombre d’enquêtes sur le cérémonial, The Kings two bodys (traduit vers le français en 1989 sous le titre Les Deux Corps du Roi). À travers l’étude des gestes, des sermons, des objets et de l’iconographie d’une cérémonie, les chercheurs qui suivent ce chemin (souvent des étudiants de Kantorowicz), abordent plusieurs des grandes cérémonies de la couronne : les sacres (Richard A. Jackson, Vivat Rex, 1984/trad. fr. 1985), les enterrements (Ralph E. Giesey, Le Roi ne meurt jamais, 1957/trad. fr. 1987), les lits de justice (Sarah Hanley, Le lit de justice des Rois de France, 1983/trad. fr. 1991). Ce courant est marqué par des concepts émanants de disciplines autres que l’histoire : l’anthropologie et l’ethnologie, qui attribue une grande importance à l’étude des rites.
[43] « Versailles, un imaginaire politique », dans Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne. Actes de la table ronde organisée par le CNRS et l’École Française de Rome, 15-17 octobre 1984, École Française de Rome, Rome, 1985, pp. 295-324. Voir note 42 pour l’autre article cité.
[44] Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, Les éditions de Minuit, 1981.
[45] Antoine Schnapper (1933-2004), historien de l’art, spécialiste de l’art du XVIIe et XVIIIe siècle, professeur à l’université Paris Sorbonne. L’ouvrage cité est Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle (Paris, Flammarion, 2 vols., 1988, 1994).
[46] Fernando Checa (1952-), historien de l’art, spécialiste du baroque et des relations entre l’art et la monarchie espagnole. Directeur du musée du Prado 1996-2002, professeur à l’Université Complutense, Madrid, il organisa de nombreuses expositions sur la maison d’Autriche et les arts. Voir entre autres Felipe II, mecenas de las artes (1992) et Carlos V. La imagen del poder en el renacimiento (2000).
[47] François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987.
[48] M. Chatenet, La cour de France au XVIe siècle (note 2).
[49] Thierry Sarmant, Les demeures du soleil. Louis XIV, Louvois et la surintendance des bâtiments du Roi, Seyssel, Champ Vallon, 2003. Voir du même auteur l’article « Colbert et la république des Médailles ».
[50] Benjamin Ringot, Jules Hardouin-Mansart, surintendant des bâtiments du roi (1699-1708). Essai d’histoire sociale, économique et politique d’une administration au temps de Louis XIV, sous la direction de Jean Duma, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
[51] Marianne Grivel, Le Commerce de l’estampe à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1986.
[52] Sylvène Édouard « Un songe pour triompher : la décoration de la galère royale de don d’Autriche à Lépante (1571) », Revue historique 4/2005 (n° 636), p. 821-848 (consultable en ligne.
[53] Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999.
[54] Ibid, p. 35, citant Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966, p. 225.
[55] Entretien avec Françoise Autrand réalisé par Sabine Berger, Jacques Paviot et Caroline zum Kolk, Paris, Cour de France.fr, 2012, p. 13.
[56] L’exposition aura lieu en 2013 à l’occasion du 4e centenaire de la naissance d’André Le Notre.
[57] Sabatier, Versailles…, p. 215.
[58] Ibid, p. 64.
[59] Ibid, p. 78.
[60] Chandra Mukerji, Territorial Ambitions and the Gardens of Versailles, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
[61] Claire Goldstein, Vaux and Versailles. The Appropriations, erasures, and accidents that made modern France, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2007.
[62] K. O. Johnson, "Il n’y a plus de Pyrénées : The Iconography of Louis XIV", dans Gazette des Beaux-arts, XCVII, 1981, p. 29-40.
[63] Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
[64] Sabatier, Versailles…, p.111-116.
[65] Hans Robert Jauss (1921-1997) philosophe, professeur à l’université de Constance qui développa une théorie sur la réception (voir Pour une esthétique de la réception, 1972).
[66] La Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (édition posthume en 1709, disponible en ligne) et le Discours sur l’Histoire universelle (1681, mis en ligne sur Wikisource).
[67] « Le roi caché et le Roi-Soleil : de la monarchie en Espagne et en France au milieu du XVIIe siècle » dans Charles Mazouer (éd.), L’âge d’or de l’influence espagnole. La France et l’Espagne à l’époque d’Anne d’Autriche (1615-1666). Actes du 20e colloque du CMR 17, Bordeaux, 25-28 janvier 1990, Mont-de-Marsan, Éditions Interuniversitaires, 1991, p. 113-124 ; avec S. Édouard : Les monarchies de France et d’Espagne, 1556-1715 : rituels et pratiques, Paris, Armand Colin, collection U, 2001, 252 pages ; avec M. Torrione (dir.), Louis XIV espagnol ? Madrid et Versailles, images et modèles, Paris, Centre de Recherche du Château de Versailles-Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, collection Aulica, 2009.
[68] Voir note précédente.
[69] Gérard Sabatier (dir.), Claude-François Ménestrier. Les jésuites et le monde des images, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2009. Voir aussi « Claude-François Ménestrier. Traité des tournois, joutes, carrousels et autres spectacles publics, 1669 », dans R. Bordone et al. (éd.), La ronde. Gioste, esercizi cavallereschi e loisir in Francia e in Piemonte tra Medioevo e Ottocento, Florence, Olschi, 2010, pp. 99-118.
[70] Juliusz A. Chrościcki, professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Varsovie. Sa thèse Pompa funebris : z dziejów kultury staropolskiej fut publiée en 1974.
[71] Hendrik Ziegler, professeur d’histoire de l’art moderne et contemporaine à l’université de Reims. Il publia récemment Der Sonnenkönig und seine Feinde. Die Bildpropaganda Ludwigs XIV.in der Kunst, Petersberg, Michael Imhof, 2010.
[72] Mark Hengerer, maitre de conférence en histoire moderne à l’université de Constance. Voir entre autres Kaiserhof und Adel in der Mitte des 17. Jahrhunderts. Eine Kommunikationsgeschichte der Macht in der Vormoderne, Konstanz, 2004 ; Kaiser Ferdinand III. (1608-1657). Eine Biographie, Wien, Köln, Weimar, 2012.
[73] Monique Chatenet, "Piteux triomphes et lamentables pompes. Les obsèques des Orléans-Longueville aux XVe et XVIe siècles", dans M. Chatenet, C. Mignot (éd.), Demeures d’éternité. Eglises et chapelles funéraires aux XVe et XVIe siècles, actes du colloque tenu à Tours du 11 au 14 juin 1996, Paris, Picard, collection De Architectura, 2005, p. 225-246.
[74] Murielle Gaude-Ferragu, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au Bas Moyen âge, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2005.
[75] Elisabeth Brown, “Royal Bodies, Effigies, Funeral Meals, and Office in Sixteenth-Century France”, Micrologus VII, Il cadavere/The corpse, 1999.
[76] J. A. Chrościcki, M. Hengerer, G. Sabatier (éd.), Les funérailles princières en Europe, XVIe-XVIIIe siècle. Volume 1 : Le grand théâtre de la mort, Paris, Centre de recherche du château de Versailles / Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, collection Aulica, 2012.
[77] « Un morceau de roi. L’exhibition de la jambe sur les portraits des Bourbons, XVIIe-XVIIIe siècles », dans Marcello Fantoni (éd.), I gesti del potere, Florence, Le Cariti editore, 2011, pp. 155-177.
[78] Alain Boureau (1946-), historien, professeur d’histoire médiévale à l’EHESS Paris, spécialiste de l’histoire politique et religieuse. Parmi ses ouvrages majeurs, voir Le Simple Corps du roi. L’impossible sacralité des souverains français (XVe-XVIIIe siècle) (1988), La Papesse Jeanne (1988), Le Droit de cuissage. Histoire de la fabrication d’un mythe (XIIIe-XXe siècle) (1995), La Religion de l’État. La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350) (2006), De vagues individus. La condition humaine dans la pensée scolastique (2008).
[79] Sergio Bertelli, Il re, la vergine, la sposa : eros, maternita e potere nella cultura figurativa europea, Rome, Donzelli, 2002, p. 15 et suite.
[80] William R. Newton, L’espace du roi. La cour de France au château de Versailles, 1682-1789 Paris, Fayard, 2000 ; La petite cour. Services et serviteurs à la Cour de Versailles au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2006.
[81] Mathieu Da Vinha, Les valets de chambre de Louis XIV, Paris, Perrin, 2004 ; Le Versailles de Louis XIV. Le fonctionnement d’une résidence royale au XVIIe siècle, Paris, Perrin, 2009.