Le théâtre, côté jardin : scénographie et dramaturgie du parc paysager dans le théâtre français du second 18e siècle
Martial Poirson
Poirson, Martial, « Le théâtre, côté jardin : scénographie et dramaturgie du parc paysager dans le théâtre français du second 18e siècle », Dix-huitième siècle, vol. 45, no. 1, 2013, p. 413-432.
Extrait de l’article
« Il semble que nous considérions la nature comme le résultat de l’art. Et réciproquement, [...] il semble que nous regardions l’effet de l’art comme celui de la nature. »
Denis Diderot, Essais sur la peinture (1765), chap. III.
Telle est la déclaration de Diderot, comparant l’émotion née à l’occasion d’une promenade au jardin des Tuileries, au bois de Boulogne « ou dans quelque endroit écarté des Champs-Élysées », à l’effet produit par les toiles de peintres paysagers tels que Loutherbourg, Vernet, Claude Gellée dit Le Lorrain, David Teniers Le Jeune ou Karle Dujardin : un tel éloge de la promenade contemplative met sur la voie d’une réflexion sur l’art des jardins, en particulier sur les enjeux non plus botaniques, historiques ou architecturaux de sa conception, mais esthétiques, culturels et idéologiques de sa représentation artistique. Ces derniers sont essentiels dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, au moment où les sinueux chemins du parc d’Ermenonville, conçu par René-Louis de Girardin d’après les prescriptions de Jean-Jacques Rousseau, supplantent les allées linéaires de celui de Versailles réalisé par André Le Nôtre : du classique « jardin à la française », strictement ordonnancé, parfaitement symétrique et solidement architecturé de la liturgie louis quatorzaine (Tuileries, Vaux-le-Vicomte, Marly, Saint-Germain-en-Laye, La Roche-Guyon), on bascule progressivement vers le parc paysager et ses savantes négligences, son désordre calculé, librement inspiré du « jardin à l’anglaise » (Fontainebleau, Chantilly, Compiègne, Petit Trianon, Désert de Retz). Si on décèle aisément la survivance d’un goût classique pour la géométrisation de l’espace , on peut surtout percevoir dans une telle évolution la manifestation d’une vogue nouvelle pour les jardins-paysagers, espaces symboliques d’illusion ou d’initiation immortalisés par Watteau ou Fragonard, avant d’être balayés par le jardin romantique au cours du XIXe siècle : architecture végétale, statuaire néo-antique, labyrinthes de verdure, promenades, divertissements, fêtes, spectacles aquatiques ou pyrotechniques... Lieu théâtralisé, investi d’une fonction anthropologique primordiale de mise en scène de l’action transformatrice de l’homme sur la nature, mais également d’une fonction politique d’exhibition des fastes du pouvoir monarchique, le jardin est en outre un objet éminemment théâtral, susceptible de revêtir une dimension spectaculaire de premier plan.